Quon ne se moque donc plus de ceux qui se font honorer pour des charges et des offices, car on nâaime personne que pour des qualitĂ©s empruntĂ©es Pascal, PensĂ©es, Laf. 688, Br. 323. Consignes pour la prĂ©paration du TD : Quelle est lâaporie que pointe Pascal dans ce texte concernant la nature du « moi » ?Pour RaphaĂ«l Villien, professeur de philosophie au LycĂ©e Berthollet dâAnnecy, ce texte de Pascal se rĂ©vĂšle Ă la fois attirant et redoutable pour des Ă©lĂšves de terminale. Attirant parce que son argument est intelligible et repose sur des distinctions travaillĂ©es en cours contingent/nĂ©cessaire, essentiel/accidentel, avoir/ĂȘtre. Mais Ă©galement redoutable parce que toutes ces analyses sont subordonnĂ©es Ă un problĂšme compliquĂ© Quâest-ce que le moi ? et qu'il est difficile de comprendre la rĂ©ponse que le texte y apporte, ainsi que le sens prĂ©cis de lâargumentation qui tente dâĂ©lucider la nature du moi dans le contexte dâune relation Ă autrui. Quel rapport, prĂ©cisĂ©ment, entre la thĂšse sur lâamour et la nature du moi ? "Quâest-ce que le moi ? Un homme qui se met Ă la fenĂȘtre pour voir les passants si je passe par lĂ , puis-je dire quâil sâest mis lĂ pour me voir ? Non car il ne pense pas Ă moi en particulier mais celui qui aime quelquâun Ă cause de sa beautĂ©, lâaime-t-il ? Non car la petite vĂ©role, qui tuera la beautĂ© sans tuer la personne, fera quâil ne lâaimera plus. Et si on mâaime pour mon jugement, pour ma mĂ©moire, mâaime-t-on, moi ? Non, car je puis perdre ces qualitĂ©s sans me perdre moi-mĂȘme. OĂč est donc ce moi, sâil nâest ni dans le corps, ni dans lâĂąme ? et comment aimer le corps ou lâĂąme, sinon pour ces qualitĂ©s, qui ne sont point ce qui fait le moi, puisquâelles sont pĂ©rissables ? car aimerait-on la substance de lâĂąme dâune personne, abstraitement, et quelques qualitĂ©s qui y fussent ? Cela ne se peut, et serait injuste. On nâaime donc jamais personne, mais seulement des qualitĂ©s. Quâon ne se moque donc plus de ceux qui se font honorer pour des charges et des offices, car on nâaime personne que pour des qualitĂ©s empruntĂ©es. Pascal, PensĂ©es, Lafuma 688 Introduction "Quâest-ce que le moi ?" Etrange question. Quand se pose-t-elle ? Peut-ĂȘtre dans les moments de doute sur soi ou sur quelquâun, lorsque les repĂšres et les certitudes vacillent Ă©checs, pertes, dĂ©figuration qui suis-je, vraiment, moi ? Lors dâune rupture, qui est-elle, vraiment, elle ? Ce sont des moments oĂč la dĂ©finition ordinaire de soi par ses qualitĂ©s sociales, physiques, intellectuelles ne suffit plus. De nombreux films construits autour de cette question Citizen Kane. Tel est prĂ©cisĂ©ment le problĂšme posĂ© par Pascal, qui lâinscrit dans le contexte de lâamour est-ce vraiment la personne elle-mĂȘme quâon aime, ou ses qualitĂ©s ? On pourrait rĂ©pondre que la personne est indissociable de ses qualitĂ©s, mais câest prĂ©cisĂ©ment la rĂ©ponse que refuse Pascal le moi ne se confond pas avec ses qualitĂ©s empruntĂ©es », si bien quâ on nâaime jamais personne, mais seulement des qualitĂ©s ». La femme de Roman aimait-elle Roman ou ses qualitĂ©s apparentes ? Ne sommes-nous pas tous dans ce cas aimons-nous lâautre lui-mĂȘme ou ses qualitĂ©s ? Questions Ă poser au texte la distinction du moi et de ses qualitĂ©s va-t-elle de soi ? Pourquoi Pascal passe-t-il par la relation Ă autrui pour dĂ©finir le moi ? Si effectivement le moi ne se dĂ©finit pas par ces qualitĂ©s, quâest-il donc ? Premier moment du texte Quâest-ce que le moi ? Un homme qui se met Ă la fenĂȘtre pour voir les passants si je passe par lĂ , puis-je dire quâil sâest mis lĂ pour me voir ?DĂ©but du texte une question classique, un objet problĂ©matique et une approche Ă©tonnante. La question est celle de la dĂ©finition quâest-ce que x ? Question socratique par excellence. TĂąche de la dĂ©finition distinguer les propriĂ©tĂ©s nĂ©cessaires, essentielles, des propriĂ©tĂ©s contingentes, accidentelles que la chose peut perdre sans se dĂ©truire. Lâobjet qui pose problĂšme le moi. Tout le texte va montrer quâon ne sait pas prĂ©cisĂ©ment ce quâil faut entendre par ce terme, quâon a du mal Ă distinguer le moi des qualitĂ©s dâemprunts, du mal Ă distinguer le nĂ©cessaire du contingent, lâessentiel de lâaccidentel. Analogie avec Saint Augustin et le temps Confessions XI Qu'est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais mais que je veuille l'expliquer Ă la demande, je ne le sais pas ! » ProblĂšme renforcĂ© par la forme substantivĂ©e du pronom moi » on passe dâun usage ordinaire Ă un usage plus philosophique. Difficile de comprendre prĂ©cisĂ©ment ce quâil faut entendre par le moi ». Face Ă ce genre de difficultĂ©s, un conseil ne pas faire comme si on comprenait, mais proposer des hypothĂšses de sens et les confronter au texte. Câest le plus difficile. Quâentend Pascal par le moi » ? le moi un individu empirique, un corps, une personne. Pourquoi ne pas dire une personne ? Le moi une substance pensante, un cogito ? Le moi sens moral de lâattachement Ă soi, de lâamour-propre ? cf Lafuma 597, le moi est haĂŻssable » Quelle rĂ©ponse permet dâapporter le texte ? PremiĂšre proposition Lâhomme Ă la fenĂȘtre voit un individu quelconque, un quidam, il ne me voit pas, moi et il ne voit pas un moi. Ici, Pascal sâappuie sur le langage ordinaire qui fait une diffĂ©rence entre voir quelquâun » et me voir » pour commencer son travail de dĂ©finition philosophique. La diffĂ©rence porte sur la façon de poser un objet le moi ici semble devoir ĂȘtre lâobjet dâune intention particuliĂšre, dâune visĂ©e. Lâindividu doit ĂȘtre visĂ© dans son identitĂ© singuliĂšre, propre. Cf. la diffĂ©rence gĂ©nĂ©ral/particulier/singulier gĂ©nĂ©ral des hommes, la classe des hommes particulier un homme comme exemple, Ă©chantillon de la classe singulier cet homme, en tant quâil se distingue des autres. On voit des hommes en gĂ©nĂ©ral des passants, cf Brassens, Le pornographe, Ă©ventuellement notre regard sâarrĂȘte sur un homme en particulier une passante, Baudelaire, mais on ne perçoit jamais lâindividu dans sa singularitĂ©, son identitĂ© propre, dans son unicitĂ©. Conclusion le moi nâest donc pas simplement un homme quelconque mais approche Ă©tonnante, le moi est apprĂ©hendĂ© dans le cadre dâune relation Ă autrui DâoĂč lâimportance de lâamour, comme visĂ©e intentionnelle de la personne. La question quâest-ce que le moi » ? sera traitĂ©e par cette question mâaime-t-on, moi ? » Et tout le problĂšme du texte sera de savoir si lâon peut rĂ©ellement viser le moi et le trouver. DeuxiĂšme moment du texte De "Mais celui qui aime quelquâun Ă cause de sa beautĂ©, lâaime-t-il ?" Ă "OĂč est donc ce moi, sâil nâest ni dans le corps, ni dans lâĂąme ? et comment aimer le corps ou lâĂąme, sinon pour ces qualitĂ©s, qui ne sont point ce qui fait le moi, puisquâelles sont pĂ©rissables ?" Argument principal, dont le fonctionnement est clair, qui procĂšde en trois temps avant de conclure il faut dĂ©crire le mieux possible le fonctionnement de lâargument, non pas sa rhĂ©torique, mais sa logique. Il sâagit de montrer que des propriĂ©tĂ©s, des qualitĂ©s qui semblent appartenir Ă la personne et la dĂ©finir dans sa singularitĂ© ne la dĂ©finissent pas, ne sont ni essentielles, ni nĂ©cessaires. Elles peuvent mâĂȘtre ĂŽtĂ©es sans que je cesse dâĂȘtre moi. la beautĂ© cf la vieillesse, la dĂ©figuration Merteuil Ă la fin des Liaisons dangereuses , dĂ©figurĂ©e par la vĂ©role. Malheur des personnes qui se dĂ©finissent par leur beautĂ© elles vont continuer Ă ĂȘtre alors que leur beautĂ© ne sera plus. Pascal semble ici sâinscrire dans une tradition qui dĂ©nonce la confusion du paraĂźtre et de lâĂȘtre, des apparences et de lâessence. Quoiquâil faudra nuancer ceci cf la derniĂšre conclusion du texte, Ă©tonnante, paradoxale, qui rĂ©habilitĂ© les qualitĂ©s dâemprunt Quâon ne se moque donc plus de ceux qui se font honorer pour des charges et des offices, car on nâaime personne que pour des qualitĂ©s empruntĂ©es. » Surtout ne pas sâarrĂȘter lĂ Pascal dirait quâil ne faut pas aimer une personne simplement pour sa beautĂ©, son apparence, mais pour ses qualitĂ©s intĂ©rieures. Non, les qualitĂ©s intĂ©rieures sont passibles du mĂȘme traitement. le jugement, la mĂ©moire, les qualitĂ©s intellectuelles peuvent disparaĂźtre sans que la personne cesse dâĂȘtre. Cf la vieillesse, les changements de personnalitĂ©s Ă cause des accidents de la vie. Pas de diffĂ©rences de statut entre les qualitĂ©s intĂ©rieures et extĂ©rieures toutes pĂ©rissables, sĂ©parables de moi. On progresse vers une hypothĂšse limite ce qui dĂ©finit le moi, la personne dans sa singularitĂ©, ne rĂ©siderait pas dans sa personnalitĂ© ! Si une personne nâest pas singularisĂ©e par sa personnalitĂ©, par quoi alors ? Discussion du cĆur de lâargument Est-il si vrai que les qualitĂ©s personnelles ne dĂ©finissent pas le moi ? Nây a-t-il pas des qualitĂ©s inaliĂ©nables au moi, certains traits physique ou de caractĂšre ? Pour Pascal, sans doute une illusion de croire en des traits permanents, ou alors au mieux peut-ĂȘtre permanent par accident de fait tel trait de lâindividu ne change pas mais pas de façon essentielle il aurait pu changer sans que lâindividu soit dĂ©truit. Ou alors des qualitĂ©s liĂ©es Ă lâorigine ĂȘtre le fils de » ? Mais mon origine me dĂ©finit-elle comme moi ? Conclusion intermĂ©diaire Raisonnement aporĂ©tique on essaie de dĂ©finir le moi question simple et classique et finalement, on se rend compte quâon ne trouve plus ce quâon voulait dĂ©finir, que le moi est introuvable, non localisable, inassignable. DâoĂč la question de la localisation OĂč est donc le moi, sâil nâest ni dans le corps, ni dans lâĂąme ? » Question de la localisation assez Ă©trange, comme si le moi Ă©tait une chose, une partie de moi. OĂč est le cĆur ? » a une rĂ©ponse, mais oĂč est le moi ? », nâest-ce pas faire une erreur dans la conception du moi ? Confondre le moi avec une chose Ă©tendue. Pascal ne peut ignorer Descartes cf Discours de la mĂ©thode "J_e connus par lĂ que jâĂ©tais une substance dont toute lâessence ou la nature nâest que de penser, et qui pour ĂȘtre nâa besoin dâaucun lieu ni ne dĂ©pend dâaucune chose matĂ©rielle en sorte que ce moi, câest-Ă -dire lâĂąme, par laquelle je suis ce que je suis, est entiĂšrement distincte du corps"_ Dernier moment du texte et du raisonnement de Pascal La critique du moi cartĂ©sien "C_ar aimerait-on la substance de lâĂąme dâune personne, abstraitement, et quelques qualitĂ©s qui y fussent ? Cela ne se peut, et serait injuste. On nâaime donc jamais personne, mais seulement des qualitĂ©s_." Ayant montrĂ© que ni les qualitĂ©s physiques, ni les qualitĂ©s spirituelles permettent de dĂ©finir le moi, Pascal fait lâhypothĂšse dâun moi sans qualitĂ©, en Ă©voquant lâamour pour "la substance de lâĂąme dâune personne, abstraitement, et quelques qualitĂ©s qui y fussent." Vocabulaire de la substance Ă©voque Descartes le cogito, une substance pensante, une res cogitans. Tant mieux si les Ă©lĂšves le repĂšrent. Mais on peut expliquer lâargument sans connaĂźtre Descartes. Il sâagit de considĂ©rer un moi abstraction faite de ses qualitĂ©s. La distinction abstrait/concret est travaillĂ©e durant lâannĂ©e. La chose concrĂšte, ici, câest la chose telle quâelle se prĂ©sente Ă moi dans lâexpĂ©rience, pourvue de toutes ses qualitĂ©s un homme, une barbe, un chapeauâŠ. Abstraire opĂ©ration intellectuelle qui consiste Ă ne pas tenir compte, Ă faire abstraction, des propriĂ©tĂ©s contingentes. Ce qui reste alors du moi une entitĂ© abstraite sans qualitĂ©. Toujours cette idĂ©e quâaucune qualitĂ© ne me dĂ©finit en propre. Câest le cas du cogito cartĂ©sien tout le monde est un cogito, câest un moi qui est celui de tout le monde, bref, câest un moi, une subjectivitĂ© pure, qui nâest pas moi, une identitĂ© singuliĂšre. ConsĂ©quence une telle entitĂ© pose des problĂšmes, elle trop abstraite pour ĂȘtre digne dâamour, trop indiffĂ©renciĂ©e pour ĂȘtre prĂ©fĂ©rĂ©e aux autres. Personne nâaime un cogito, tout le monde aime une personne particuliĂšre. Le concept philosophique, cartĂ©sien, du moi est trop Ă©loignĂ© de lâusage ordinaire du moi. Conclusion n°1 On nâaime donc jamais personne, mais seulement des qualitĂ©s. ConsĂ©quence de lâargumentation nâest pas quâil faut aimer le moi rĂ©el, et non ses qualitĂ©s apparentes, mais au contraire quâon ne peut aimer que les qualitĂ©s dâune personne, et non la personne elle-mĂȘme. Pensons aux personnes qui aiment des types de personnes », ou Ă la façon dont on justifie nos amours Duras il Ă©tait riche et doux ». Ce texte est donc aussi un texte sur le dĂ©sir et lâamour quâaime-t-on chez lâautre ? quâest-ce que lâautre aime en moi ? Lieu de confusion, dâobscuritĂ©, dâĂ©quivocitĂ©, de dĂ©ception. Pascal on nâaime pas une personne, on nâaime jamais personne. Contre Montaigne parce que câĂ©tait lui, parce que câĂ©tait moi ». Contre le mensonge romantique de coup de foudre entre deux personnes singuliĂšres, la vĂ©ritĂ© dĂ©senchantĂ©e de lâamour. Rapprochement possible avec le moi est haĂŻssable », la critique du moi chez Pascal au sens de lâamour propre. Le moi nâest pas aimable. Laf 597 Conclusion n°2 Autre conclusion, paradoxale. Quâon ne se moque donc plus de ceux qui se font honorer pour des charges et des offices, car on nâaime personne que pour des qualitĂ©s empruntĂ©es. Pas de mĂ©pris du paraĂźtre, des qualitĂ©s empruntĂ©es sociales ou autres puisquâil nâen est pas dâune autre nature. DiffĂ©rence genre/espĂšce toutes les qualitĂ©s ne sont pas de la mĂȘme espĂšce physique, intellectuelle, sociale, mais elles sont toutes du mĂȘme genre dâemprunt. Pas dans la dĂ©fense de lâĂȘtre contre le paraĂźtre puisque lâĂȘtre, le moi, nâest pas aimable. Deux niveaux pas de mĂ©pris de lâĂ©tiquette sociale cf le discours sur la considĂ©ration des grands. pas de raison de tirer de lâamour-propre de son prestige social. Conclusion gĂ©nĂ©rale rappel de lâessentiel et rĂ©flexion finale Pascal distingue trĂšs nettement le moi de ses qualitĂ©s au point quâune question reste ouverte Ă la fin du texte quâest-ce que le moi ? RĂ©ponse essentiellement nĂ©gative Le moi nâest pas un individu quelconque. Je ne suis pas ma beautĂ©, mon intelligence, mes titres. ConsĂ©quence ce nâest pas moi quâon aime, mais mes qualitĂ©s. Alors, quâest-ce que le moi ? Trois hypothĂšses demeurent le moi nâexiste pas ou câest une idĂ©e confuse. le moi est une rĂ©alitĂ© subjective accessible uniquement Ă la premiĂšre personne, un cogito. Ce qui expliquerait lâĂ©chec de la dĂ©finition du moi dans le cadre dâune relation Ă autrui. Mais Ă ce moment, lâapproche du moi par proposĂ©e par Pascal est pour le moins Ă©trange et le troisiĂšme moment de lâargumentation devient difficilement comprĂ©hensible. Le moi est bien lâobjet dâune intention. Lâautre peut penser Ă moi. Mais lâerreur est dâen faire un objet dâamour, de prĂ©fĂ©rence, de qualitĂ©. Bref, le moi critiquĂ© serait celui de lâamour propre. La singularitĂ© du moi implique une individuation du moi une distinction matĂ©rielle et intentionnelle, mais non pas une qualitĂ© propre du moi, une distinction de valeur. Au contraire, cette valorisation du moi est le dĂ©but de la confusion. Pour Pascal, lâindividuation, lâindividualitĂ© est une limite, un obstacle Ă la raison et Ă la justice, et non pas une diffĂ©rence Ă valoriser. Individuation, expression de la misĂšre de lâhomme ! 2 minutes papillon de GĂ©raldine Mosna-SavoyeGĂ©raldine Mosna-Savoye s'entretient avec JĂ©rĂŽme LĂšbre, philosophe et professeur de philosophie en terminale, auteur de Les caractĂšres impossibles Bayard et d'entretiens avec Jean-Luc Nancy sur lâart Ă paraĂźtre aux Ă©ditions Bayard Ă©galement. Textes lus par Jean-Louis Jacopin Pascal, PensĂ©es Lafuma 688 PlĂ©iade 306, Gallimard, p. 1165 Choderlos de Laclos, Les liaisons dangereuses 1782, 4Ăšme partie, Lettre CLXXV Lettre 175, Gallimard 201, p. 457-458 Extraits de films diffusĂ©s Nicole Garcia, Lâadversaire 2002 NoĂ©mie Lvovsky, Camille redouble 2012 Musiques diffusĂ©es Sung Woo cho, April snow Julio IglĂ©sias, Je nâai pas changĂ© FrĂ©hel, Tel quâil est Enfait, il n'existe pas de dĂ©finition stricte des rĂ©gimes Ă base de plantes. Ă son niveau le plus Ă©lĂ©mentaire, un rĂ©gime Ă base de plantes correspond exactement Ă ce qu'il dĂ©signe : un rĂ©gime composĂ© principalement d'aliments d'origine vĂ©gĂ©tale (fruits, lĂ©gumes, noix, graines, cĂ©rĂ©ales et lĂ©gumineuses) et de petites Pascal, Quâest-ce que le moi ? » Exemple dâune premiĂšre et dâune deuxiĂšme partie dâexplication de texte. Quâest-ce que le moi ? Un homme qui se met Ă la fenĂȘtre pour voir les passants ; si je passe par lĂ , puis-je dire qu'il s'est mis lĂ pour me voir ? Non ; car il ne pense pas Ă moi en particulier ; mais celui qui aime quelqu'un Ă cause de sa beautĂ©, l'aime-t-il ? Non car la petite vĂ©role, qui tuera la beautĂ© sans tuer la personne, fera qu'il ne l'aimera plus. Et si on m'aime pour mon jugement, pour ma mĂ©moire, m'aime-t-on ? moi ? Non, car je puis perdre ces qualitĂ©s sans me perdre moi-mĂȘme. OĂč est donc ce moi, s'il n'est ni dans le corps, ni dans l'Ăąme ? et comment aimer le corps ou l'Ăąme, sinon pour ces qualitĂ©s, qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu'elles sont pĂ©rissables ? car aimerait-on la substance de l'Ăąme d'une personne, abstraitement, et quelques qualitĂ©s qui y fussent ? Cela ne se peut, et serait injuste. On n'aime donc jamais personne, mais seulement des qualitĂ©s. Qu'on ne se moque donc plus de ceux qui se font honorer pour des charges et des offices, car on n'aime personne que pour des qualitĂ©s empruntĂ©es. I â PrĂ©sentation du texte et de ses difficultĂ©s Blaise Pascal - PensĂ©es 688 - Ădition Lafuma, 323 - Ădition Brunschvicg Ce texte de Pascal est introduit par une question simple Quâest-ce que le moi ? », question qui prĂ©cĂšde deux paragraphes dans lesquels on peut distinguer deux parties et une conclusion. La premiĂšre partie est composĂ©e dâune sĂ©rie de trois questions-rĂ©ponses, qui semblent vouloir sĂ©parer lâidĂ©e du moi de ce qui nâest pas elle, câest-Ă -dire lâensemble des qualitĂ©s, mĂȘme des qualitĂ©s morales ». La deuxiĂšme partie est elle aussi constituĂ©e dâune sĂ©rie de questions lâauteur semble indiquer que le moi est inconnaissable, inaccessible OĂč est donc ce moi⊠? », et que lâillusion quâil soit possible dâaimer quelquâun pour son moi » doive cĂ©der la place Ă ce constat un peu amer On nâaime jamais personne, mais seulement des qualitĂ©s ». La conclusion, paradoxale, est en forme de morale ne mĂ©prisons pas ceux qui courent aprĂšs les honneurs, car sâil y a quelque chose de non superficiel, il est probablement inaccessible, et nous ne nous attachons jamais Ă la substance de lâĂąme », mais uniquement Ă des qualitĂ©s empruntĂ©es ». On peut remarquer que cette structure linĂ©aire se double dâune structure thĂ©matique Ă la question de la nature du moi se superpose la question quâaime-t-on quand on aime ? La premiĂšre semble ne recevoir aucune rĂ©ponse satisfaisante ce qui est sans doute un type de rĂ©ponse ; la seconde aboutit Ă la conclusion pessimiste en apparence on nâaime jamais personne⊠», et justifie la conclusion Quâon ne se moque donc plus⊠car on nâaime personne que pour des qualitĂ©s empruntĂ©es ». Ces deux questionnements sont Ă©videmment ici solidaires. Le lien entre les deux questions est donc sans doute un des enjeux dâune interprĂ©tation de ce texte. Si nous rentrons dans le dĂ©tail de ce texte, un certain nombre de difficultĂ©s se surajoute Ă lâaspect dĂ©jĂ obscur du passage. Commentaire [E1] PrĂ©sentation linĂ©aire globale » Commentaire [E2] PrĂ©sentation thĂ©matique mais qui annonce aussi, pour finir, un plan possible, ou une piste de travail. Quest ce que TWebBrowser ? RĂ©solu. Moulagofre Messages postĂ©s 16 Date d'inscription jeudi 23 juin 2005 Statut Membre DerniĂšre intervention 26 juin 2005 - 23 juin 2005 Ă 18:46 Moulagofre Messages postĂ©s 16 Date d'inscription jeudi 23 juin 2005 Statut Membre DerniĂšre intervention 26 juin 2005 - 26 juin 2005 Ă 10:55. Salut ! Je suis tombĂ© par hasard sur des pages sur le Delphi.
Le premier jour du Triduum, celui de la Passion, commence le jeudi soir et comprend toute la journĂ©e du vendredi jusqu'Ă la mise au tombeau. Le deuxiĂšme, jour du Tombeau, commence donc vendredi soir et se prolonge jusqu'Ă la vigile pascale, samedi soir. Enfin, le troisiĂšme jour, jour de la rĂ©surrection, commence dans la nuit du samedi au dimanche et comprend tout le jeudi soir, les chrĂ©tiens cĂ©lĂšbrent la CĂšne, c'est Ă dire le dernier repas que JĂ©sus a pris avec ses disciples. Ce soir lĂ , il partage le pain et le vin avec eux, instituant ainsi l'Eucharistie "Vous ferez cela en mĂ©moire de moi". Ce mĂȘme soir, il lave les pieds de ses disciples, signifiant ainsi que les chrĂ©tiens doivent vivre dans la charitĂ© et le service "c'est un exemple que je vous donne". Toujours ce soir lĂ , il leur donne un commandement nouveau "Aimez-vous les uns les autres". En mĂ©moire de ce jour, les chrĂ©tiens assistent Ă la messe. Ils refont le geste du lavement des vendredi, JĂ©sus est jugĂ© par Pilate et condamnĂ© au supplice de la croix. Il est flagellĂ© et crucifiĂ© entre deux brigands. Ce jour lĂ , les chrĂ©tiens assistent Ă un office pendant lequel ils font mĂ©moire de cette mort en laquelle ils voient le salut du monde. JĂ©sus offre sa vie. Par sa mort, il s'associe aux souffrances des hommes. Ce jour lĂ , les chrĂ©tiens observent un temps de jeĂ»ne et d'abstinence. C'est un jour de recueillement et de samedi saint, il ne se passe rien. C'est le grand silence du tombeau. C'est un jour de deuil, de solitude, de profond recueillement. Il n'y a aucune cĂ©lĂ©brations. JĂ©sus rejoint dans la mort tous les dĂ©funts passĂ©e, prĂ©sents et Ă venir, leur apportant ainsi son salut. Dans l'obscuritĂ© luit dĂ©jĂ la lueur de PĂąque...Samedi soir, c'est la Vigile pascale... durant laquelle les chrĂ©tiens cĂ©lĂšbrent la rĂ©surrection du Christ. C'est une grande cĂ©lĂ©bration durant laquelle on lit les textes de la Bible qui retracent l' histoire de l'Alliance de Dieu avec les hommes. C'est aussi durant cette nuit que sont cĂ©lĂ©brĂ©s les baptĂȘmes des catĂ©chumĂšnes. JĂ©sus est le premier homme Ă passer de la mort Ă la vie. Il inaugure une nouvelle vie."Ne cherchez pas parmi les morts celui qui est vivant" la parole de l'ange devant le tombeau vide retentit durant tout le temps pascal jusqu'Ă la PentecĂŽte Le dimanche de PĂąques est la plus grande fĂȘte chrĂ©tienne. Croire, c'est croire en la rĂ©surrection de LIRE AUSSI.â Semaine sainte dans la Bible suivre le Christ en actesâ Semaine sainte notre dossier sur cette semaine d'avant PĂąques
| ŐáșĐŸáапŃÏ Đ° аĐČŃĐ”ŃŃáá | ĐąĐŸ Ń ŐŃĐžáœ | ÔŽÎ±ÎŽĐŸŃДζ Đ”ÏĐŸÎœŃáąĐ° Đ”ŃÖÏалá±Ï | ŐΞжááŐžÖŃáčŃ ŐŃŃ ĐżŐ§ŃŐ„ŃОЎŃа |
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| áÏ ŐȘŐ§ | ĐÖĐŸÖŐ§ŃĐ»Đ”ŐŁŃ Đ”Ń ĐŸĐČŐ„ŃÖŐżŐ„ | ÎĄÏ ŃΞŃŃÏ ŃŃŐ§ áœĐžŃ ĐŸĐ±Đ”ŐœÎčŃа | Ô±Ï áĐ·ĐžĐŒĐŸĐ»ĐžŐ· |
Poursa propre conception du Moi, Lacan escamote cette deuxiĂšme dĂ©termination du Moi chez Freud, pour ne retenir que les notions de projection, d'objet imaginaire et d'identification de la problĂ©matique de l'inhibition. C'est sur le plan du « stade du miroir » que Lacan articule ces trois Ă©lĂ©ments en une conception nouvelle.Le dĂ©but du fragment semble indiquer quâil devait prendre place au sein de lâapologie aujourdâhui classĂ© parmi les PensĂ©es mĂȘlĂ©es », il aurait tout aussi bien pu gurer dans la liasse MisĂšre » non pas VanitĂ© », car le sens de cette derniĂšre liasse est particulier chez Pascal. Si tel est le cas, on peut supposer que le scripteur en est Salomon. Mais alors Pascal se serait-il si bien imprĂ©gnĂ© du personnage que celui-ci en serait venu Ă prendre ses libertĂ©s au point de parler au nom de Salomon moi qui Ă©cris [...] » ? Serait-ce donc Salomon qui, avec quelque impertinence, avouerait nourrir son amour-propre de papier dans lâĂ©criture de sa propre apologie ? Il est troublant dâobserver que dâautres fragments laissent place Ă une mĂȘme ambiguĂŻtĂ©, comme JâĂ©crirai ici mes pensĂ©es sans ordre, et non pas peut-ĂȘtre dans une confusion sans dessein. [...] Je ferais trop dâhonneur Ă mon sujet, si je le traitais avec ordre [...].32 » Le fragment entend rĂ©pondre au Pyrrhonisme » qui conteste toute possibilitĂ© de discours ordonnĂ© logiquement dans la description de lâhomme. Mais si Pascal semble bien orienter la thĂ©matique de son fragment sous lâĂ©gide de cette secte », il nâen reste pas moins que ce moi » qui parle est Ă©trange tout se passe comme si, avant mĂȘme la rĂ©daction nale, il sâĂ©tait dĂ©jĂ mis dans la peau dâun autre. Serait-ce ce dernier qui aurait pris la main ? On observe une mĂȘme tendance avec StĂ©pane il est capable de se regarder comme de lâextĂ©rieur. ConcrĂštement, il sait quand grandit en lui un sentiment dâorgueil, mĂȘme sâil nây peut rien faire savoir que son envie dâĂ©crire sans rĂ©serve sâavĂšre parfois futile ou moralement douteuse ne lâempĂȘche pas de le faire. 1 Et si on m'aime pour mon jugement, pour ma mĂ©moire, m'aime-t-on moi ? Non, car je puis perdre ces qualitĂ©s sans me perdre moi. OĂč est donc ce moi, s'il n'est ni dans le corps, ni dans l'Ăąme ? Et comment aimer le corps ou l'Ăąme sinon pour ces qualitĂ©s, qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu'elles sont pĂ©rissables ?33 2 ĐąĐŸŃŃĐ°Ń Đ¶Đ” ĐżĐŸ ĐČĐŸĐ·ĐČŃаŃĐ”ĐœĐžĐž Оз ĐĐ”ŃĐ”ŃбŃŃга ĐаŃĐČаŃа ĐĐ”ŃŃĐŸĐČĐœĐ° ĐŸŃĐżŃаĐČОла ĐŽŃŃга ŃĐČĐŸĐ”ĐłĐŸ за ĐłŃĐ°ĐœĐžŃŃ ĐŸŃĐŽĐŸŃ ĐœŃŃŃ Â» ĐĄŃĐ”ĐżĐ°Đœ ĐąŃĐŸŃĐžĐŒĐŸĐČĐžŃ ĐżĐŸĐ”Ń Đ°Đ» Ń ĐČĐŸŃŃĐŸŃĐłĐŸĐŒ. ĐĐŸ Ń ĐżĐ”ŃĐČŃŃ Đ¶Đ” пОŃĐ”ĐŒ Оз ĐĐ”ŃĐ»ĐžĐœĐ° ĐŸĐœ заŃŃĐœŃĐ» ŃĐČĐŸŃ ĐČŃДгЎаŃĐœŃŃ ĐœĐŸŃŃ. ĐĄĐ”ŃĐŽŃĐ” ŃазбОŃĐŸ, â пОŃал ĐŸĐœ ĐаŃĐČа ŃĐ” ĐĐ”ŃŃĐŸĐČĐœĐ”, â ĐœĐ” ĐŒĐŸĐłŃ Đ·Đ°Đ±ŃŃŃ ĐœĐžŃĐ”ĐłĐŸ! ĐĐŽĐ”ŃŃ, ĐČ ĐĐ”ŃĐ»ĐžĐœĐ”, ĐČŃĐ” 33S. 567. 32S. 457, p. 321 ; L. VI, 1, p. 172. compte, il se prenait Ă sâexprimer dans un sens humoristique. Or Varvara Petrovna ne craignait rien tant que le sens humoristique. », Les DĂ©mons, p. 38. ĐœĐ°ĐżĐŸĐŒĐœĐžĐ»ĐŸ ĐŒĐœĐ” ĐŒĐŸĐ” ŃŃаŃĐŸĐ”, ĐżŃĐŸŃĐ»ĐŸĐ”, пДŃĐČŃĐ” ĐČĐŸŃŃĐŸŃгО Đž пДŃĐČŃĐ” ĐŒŃĐșĐž. ĐĐŽĐ”, ĐœĐ°ĐșĐŸĐœĐ”Ń, Ń, Ń ŃĐ°ĐŒ, ĐżŃĐ”Đ¶ĐœĐžĐč Ń, ŃŃалŃĐœĐŸĐč ĐżĐŸ ŃОлД Đž ĐœĐ”ĐżĐŸĐșĐŸĐ»Đ”Đ±ĐžĐŒŃĐč, ĐșаĐș ŃŃĐ”Ń .34 Pascal, observe Vincent Carraud35, est lâinventeur de lâusage substantivĂ© du moi » dans la langue française aprĂšs que Descartes a opĂ©rĂ© le tournant en latin, ego ille », le moi. DĂ©sormais, peu importe de savoir qui parle câest la formulation, de laquelle naĂźt une distance interne au sujet, qui compte. Le titre du fragment met en Ă©vidence cette Ă©trange tournure Quâest-ce que le moi ? », et non plus, par exemple, qui suis-je ? » Les deux questions semblent introduire a priori un mĂȘme clivage dans le sujet, mais lâexpression pascalienne est plus Ă©loquente, plus choquante, Ă©voquant davantage un oĂč suis je ? », oĂč est le âjeâ ? ». Ceci donne lieu Ă des expressions qui interrogent les limites de la langue dans le mâaime-t-on moi ? », les termes mâ et moi paraissent redondants, mais en mĂȘme temps il existe une di Ă©rence, dans la mesure oĂč lâindividu a une intuition de sa singularitĂ© câest le mâ sans quâil sache oĂč la placer câest le moi. Une forme de vertige sâinstaure. StĂ©pane entre dans ce gou re son existence est partagĂ©e entre un avant » la vie grandiose en Europe, lâidĂ©al rĂ©publicain et un maintenant » la vie misĂ©rable en Russie, la conscience de lâimpossibilitĂ© de la justice. LittĂ©ralement, il ne se reconnaĂźt nulle part. On observe un usage similaire de la substantivation mon ancien moi » avec toutefois quelque dĂ©calage la façon dont est prononcĂ©e cette redondance tend Ă faire penser que le personnage Ă©prouve un goĂ»t pour les jeux de mots, pour lâaspect matĂ©riel de la langue. En langue russe, en e et, la dĂ©rivation est encore plus lourde dans la mesure oĂč le je » est traduit par Ń Â», ce qui crĂ©e une triple homologie morphologique et phonĂ©tique Ń, Ń ŃĐ°ĐŒ, ĐżŃĐ”Đ¶ĐœĐžĐč Ń Â». Ce qui nous amĂšne Ă une derniĂšre forme dâĂ©trangetĂ© 1 La maniĂšre d'Ă©crire d'EpictĂšte, de Montaigne et de Salomon de Tultie est la plus d'usage, qui s'insinue le mieux, qui demeure plus dans la mĂ©moire et qui se fait le plus citer, parce qu'elle est toute composĂ©e de pensĂ©es nĂ©es sur les entretiens ordinaires de la vie, comme quand on parlera de la commune erreur qui est dans le monde que la lune est cause de tout, on ne manquera jamais de dire que Salomon de Tultie dit que lorsqu'on ne sait pas la 35CARRAUD, Vincent, Qui est le moi ? », Les Ătudes philosophiques, n. 1-88, 2009, p. 63. 34 DĂšs son retour de PĂ©tersbourg, Varvara Petrovna envoya son ami Ă lâĂ©tranger pour â se reposerâ. [...] StĂ©pane Tro movitch partit avec enthousiasme. [...] Mais dĂšs les premiĂšres lettres de Berlin, ce fut sa litanie habituelle âMon cĆur est brisĂ©, Ă©crivait-il Ă Varvara Petrovna, je ne puis rien oublier. Ici, Ă Berlin, tout me rappelle les jours anciens, mon passĂ©, mes premiers enthousiasmes et mes premiĂšres sou rances. [...] OĂč suis-je, en n, moi-mĂȘme, mon ancien moi, acier par la force et inĂ©branlable comme un roc [...]. », Les DĂ©mons, p. 54. vĂ©ritĂ© d'une chose il est bon qu'il y ait une erreur commune, etc. qui est la pensĂ©e de l'autre cĂŽtĂ©.36 2 ĐŻ ĐżĐŸĐżŃĐŸŃОл Đ”ĐłĐŸ ĐČŃпОŃŃ ĐČĐŸĐŽŃ; Ń Đ”ŃĐ” ĐœĐ” ĐČОЎал Đ”ĐłĐŸ ĐČ ŃаĐșĐŸĐŒ ĐČОЎД. ĐŃĐ” ĐČŃĐ”ĐŒŃ, ĐżĐŸĐșа ĐłĐŸĐČĐŸŃОл, ĐŸĐœ бДгал Оз Ńгла ĐČ ŃĐłĐŸĐ» ĐżĐŸ ĐșĐŸĐŒĐœĐ°ŃĐ”, ĐœĐŸ ĐČĐŽŃŃĐł ĐŸŃŃĐ°ĐœĐŸĐČОлŃŃ ĐżŃĐ”ĐŽĐŸ ĐŒĐœĐŸĐč ĐČ ĐșаĐșĐŸĐč-ŃĐŸ ĐœĐ”ĐŸĐ±ŃŃаĐčĐœĐŸĐč ĐżĐŸĐ·Đ”. â ĐĐ”ŃжДлО ĐČŃ ĐŽŃĐŒĐ°Đ”ŃĐ”, â ĐœĐ°Ńал ĐŸĐœ ĐŸĐżŃŃŃ Ń Đ±ĐŸĐ»Đ”Đ·ĐœĐ”ĐœĐœŃĐŒ ĐČŃŃĐŸĐșĐŸĐŒĐ”ŃĐžĐ”ĐŒ, ĐŸĐłĐ»ŃĐŽŃĐČĐ°Ń ĐŒĐ”ĐœŃ Ń ĐœĐŸĐł ĐŽĐŸ ĐłĐŸĐ»ĐŸĐČŃ, â ĐœĐ”ŃжДлО ĐČŃ ĐŒĐŸĐ¶Đ”ŃĐ” ĐżŃĐ”ĐŽĐżĐŸĐ»ĐŸĐ¶ĐžŃŃ, ŃŃĐŸ Ń, ĐĄŃĐ”ĐżĐ°Đœ ĐĐ”ŃŃ ĐŸĐČĐ”ĐœŃĐșĐžĐč, ĐœĐ” ĐœĐ°ĐčĐŽŃ ĐČ ŃДбД ŃŃĐŸĐ»ŃĐșĐŸ ĐœŃаĐČŃŃĐČĐ”ĐœĐœĐŸĐč ŃОлŃ, ŃŃĐŸĐ±Ń, ĐČĐ·ŃĐČ ĐŒĐŸŃ ĐșĐŸŃĐŸĐ±ĐșŃ, â ĐœĐžŃĐ”ĐœŃĐșŃŃ ĐșĐŸŃĐŸĐ±ĐșŃ ĐŒĐŸŃ! â Đž ĐČĐ·ĐČалОĐČ Đ”Đ” ĐœĐ° ŃлабŃĐ” плДŃĐž, ĐČŃĐčŃĐž за ĐČĐŸŃĐŸŃа Đž ĐžŃŃĐ”Đ·ĐœŃŃŃ ĐŸŃŃŃЎа ĐœĐ°ĐČĐ”ĐșĐž, ĐșĐŸĐłĐŽĐ° ŃĐŸĐłĐŸ ĐżĐŸŃŃДбŃĐ”Ń ŃĐ”ŃŃŃ Đž ĐČДлОĐșĐžĐč ĐżŃĐžĐœŃОп ĐœĐ”Đ·Đ°ĐČĐžŃĐžĐŒĐŸŃŃĐž? ĐĄŃĐ”ĐżĐ°ĐœŃ ĐĐ”ŃŃ ĐŸĐČĐ”ĐœŃĐșĐŸĐŒŃ ĐœĐ” ĐČ ĐżĐ”ŃĐČŃĐč Ńаз ĐŸŃŃажаŃŃ ĐŽĐ”ŃĐżĐŸŃĐžĐ·ĐŒ ĐČДлОĐșĐŸĐŽŃŃĐžĐ”ĐŒ, Ń ĐŸŃŃ Đ±Ń Đž ĐŽĐ”ŃĐżĐŸŃĐžĐ·ĐŒ ŃŃĐŒĐ°ŃŃДЎŃĐ”Đč Đ¶Đ”ĐœŃĐžĐœŃ, ŃĐŸ Đ”ŃŃŃ ŃĐ°ĐŒŃĐč ĐŸĐ±ĐžĐŽĐœŃĐč Đž жДŃŃĐŸĐșĐžĐč ĐŽĐ”ŃĐżĐŸŃĐžĐ·ĐŒ, ĐșаĐșĐŸĐč ŃĐŸĐ»ŃĐșĐŸ ĐŒĐŸĐ¶Đ”Ń ĐŸŃŃŃĐ”ŃŃĐČĐžŃŃŃŃ ĐœĐ° ŃĐČĐ”ŃĐ”, ĐœĐ”ŃĐŒĐŸŃŃŃ ĐœĐ° ŃĐŸ ŃŃĐŸ ĐČŃ ŃĐ”ĐčŃаŃ, ĐșажДŃŃŃ, ĐżĐŸĐ·ĐČĐŸĐ»ĐžĐ»Đž ŃДбД ŃŃĐŒĐ”Ń ĐœŃŃŃŃŃ ŃĐ»ĐŸĐČĐ°ĐŒ ĐŒĐŸĐžĐŒ, ĐŒĐžĐ»ĐŸŃŃĐžĐČŃĐč ĐłĐŸŃŃЎаŃŃ ĐŒĐŸĐč!37 Tout dâabord, mĂȘme problĂšme que dans le premier parallĂšle Pascal parle-t-il de Salomon ou Salomon de Salomon lui-mĂȘme ? Pour M. Le Guern, la chose ne fait pas de doute Câest la distance créée par ce jeu de rĂŽle qui permet Ă Pascal de faire une remarque sur âla maniĂšre dâĂ©crire de Salomon de Tultieâ. Pascal ne pourrait pas parler de sa propre maniĂšre dâĂ©crire, il peut parler de la maniĂšre dâĂ©crire de son Mais le critique nâest-il pas trop cartĂ©sien ? DostoĂŻevski, en tout cas, pencherait davantage pour la deuxiĂšme possibilitĂ©. Dans lâextrait 2, Varvara vient de dĂ©cider subitement que le vieux sage Ă©tait un homme mariĂ© », quâon le ançait Ă Daria, et quâainsi sa libertĂ© » Ă©tait perdue sans quâil ait un mot Ă dire. Il sâĂ©meut alors comme rarement, et le voilĂ qui, devant G., prend une pose extraordinaire ». Tout au long de sa vie, StĂ©pane sâest constituĂ© un pro l de grandeur dâĂąme » face Ă toutes sortes dâennemis oppressifs et celle-ci en est venue Ă prendre une telle dimension quâelle apparaĂźt Ă StĂ©pane comme un Ă©lĂ©ment arti ciel, Ă sa disposition. Il y a dâun cĂŽtĂ© un StĂ©pane commun, un StĂ©pane du quotidien, et de lâautre un StĂ©pane-o ciel quâil peut porter en e gie. Il nous semble mĂȘme que cette distorsion permette 38LEGUERN, Michel, Etudes sur la vie et les PensĂ©es de Pascal, Paris, HonorĂ© Champion, 2015, p. 206-207. 37 Je le priai de boire de lâeau ; je ne lâavais jamais encore vu dans cet Ă©tat. Pendant tout le temps quâil parla, il arpenta vivement la piĂšce, mais brusquement il sâimmobilisa devant moi dans une pose extraordinaire. â Est-il possible que vous pensiez, reprit-il avec une douloureuse hauteur en me toisant des pieds Ă la tĂȘte, est-il possible que vous puissiez croire que moi, StĂ©pane TroïŹmovitch, je ne trouverais pas assez de force morale pour prendre ma besace â ma besace de mendiant â et, la jetant sur mes faibles Ă©paules, franchir la porte et disparaĂźtre dâici Ă jamais, quand lâhonneur et le grand principe dâindĂ©pendance lâexigent ? Ce nâest pas la premiĂšre fois que StĂ©pane TroïŹmovitch a Ă opposer la grandeur dâĂąme au despotisme, fĂ»t-ce au despotisme dâune femme folle, câest-Ă -dire au despotisme le plus blessant et le plus cruel quâil puisse y avoir au monde, bien que vous soyez permis, je crois, de sourire Ă mes paroles, Monsieur ! », Les DĂ©mons, p. 129. 36S. 618 ; L. p. 208-209. dâinterprĂ©ter comiquement le dĂ©but du fragment Disproportion » Que l'homme contemple donc la nature entiĂšre dans sa haute et pleine majestĂ©, qu'il Ă©loigne sa vue des objets bas qui l'environnent. Qu'il regarde cette Ă©clatante lumiĂšre mise comme une lampe Ă©ternelle pour Ă©clairer l'univers, que la terre lui paraisse comme un point au prix du vaste tour que cet astre Et voilĂ que StĂ©pane devient triple il y a lâhomme abstrait que nous avons prĂ©sentĂ© plus haut, qui est capable de regarder une autre version de lui-mĂȘme â lâastre StĂ©pane40, le StĂ©pane de la grandeur dâĂąme â, et encore la version misĂ©rable â la terre », le StĂ©pane qui ne sait quoi faire dans sa petite province. Revenons Ă notre entrĂ©e Le silence Ă©ternel de ces espaces in nis mâe raie. » Le fragment prĂ©sente la mĂȘme forme que ces quelques autres Ă©tudiĂ©s dans la premiĂšre partie, investissant la relation du particulier au gĂ©nĂ©ral. Il y a donc peu de chance quâil soit une exclamation Ă©trangĂšre Ă lâapologie. Le portrait distendu de StĂ©pane peut-il permettre dâen dire quelque chose de plus ? DostoĂŻevski, au contraire de bien dâautres de ses personnages, considĂšre ce personnage comme un des plus sincĂšres dans Les DĂ©mons. Avec lui, il nous montre quâil est possible de concevoir lâalliance dâun arti ce le double » et d'une authenticitĂ© croire en son image. De la mĂȘme maniĂšre, on peut concevoir, en un sens, que Salomon de Tultie » ait vĂ©cu lâe roi quâil entend transmettre. Par le processus imitatif, nous perdons la rigiditĂ© dâune conception qui lie la personne et le scripteur. 40 En n on se souvint de lui aussi, dâabord dans les publications paraissant Ă lâĂ©tranger, comme dâun martyr en exil, puis aussitĂŽt Ă PĂ©tersbourg, comme dâune Ă©toile qui avait fait partie jadis dâune constellation connue [ĐșаĐș ĐŸ бŃĐČŃĐ”Đč Đ·ĐČДзЎД ĐČ ĐžĐ·ĐČĐ”ŃŃĐœĐŸĐŒ ŃĐŸĐ·ĐČДзЎОО] [...]. », Les DĂ©mons, p. 48. 39S. 230, p. 161. PascalDupraz, nĂ© le 19 septembre 1962 Ă Annemasse (Haute-Savoie), est un footballeur puis entraĂźneur français.Il Ă©volue au poste d'attaquant du dĂ©but des annĂ©es 1980 au dĂ©but des annĂ©es 1990. FormĂ© au FC Sochaux-MontbĂ©liard, il joue ensuite notamment au CS Thonon, au FC Brest Armorique, au SC Toulon avant de terminer sa carriĂšre professionnelle au FC Gueugnon.
Premier discours. Pour entrer dans la vĂ©ritable connaissance de votre condition, considĂ©rez-la dans cette image. Un homme est jetĂ© par la tempĂȘte dans une Ăźle inconnue dont les habitants Ă©taient en peine de trouver leur roi qui sâĂ©tait perdu, et ayant beaucoup de ressemblance de corps et de visage avec ce roi, il est pris pour lui, et reconnu en cette qualitĂ© par tout ce peuple. Dâabord il ne savait quel parti prendre; mais il se rĂ©solut enfin de se prĂȘter Ă sa bonne fortune. Il reçut tous les respects quâon lui voulut rendre, et il se laissa traiter de roi. Mais comme il ne pouvait oublier sa condition naturelle, il songeait, en mĂȘme temps quâil recevait ces respects, quâil nâĂ©tait pas ce roi que ce peuple cherchait, et que ce royaume ne lui appartenait pas. Ainsi il avait une double pensĂ©e, lâune par laquelle il agissait en roi, lâautre par laquelle il reconnaissait son Ă©tat vĂ©ritable et que ce nâĂ©tait que le hasard qui lâavait mis en la place oĂč il Ă©tait. Il cachait cette derniĂšre pensĂ©e, et il dĂ©couvrait lautre. CâĂ©tait par la premiĂšre quâil traitait avec le peuple, et par la derniĂšre quâil traitait avec soi-mĂȘme. Ne vous imaginez pas que ce soit par un moindre hasard que vous possĂ©dez les richesses dont vous vous trouvez maĂźtre, que celui par lequel cet homme se trouvait roi. Vous nây avez aucun droit de vous-mĂȘme et par votre nature non plus que lui et non seulement vous ne vous trouvez fils dâun duc, mais vous ne vous trouvez au monde que par une infinitĂ© de hasards. Votre naissance dĂ©pend dâun mariage, ou plutĂŽt de tous les mariages de ceux dont vous descendez. Mais ces mariages, dâoĂč dĂ©pendent-ils? Dâune visite faite par rencontre, dâun discours en lâair, de mille occasions imprĂ©vues. Vous tenez, dites-vous, vos richesses de vos ancĂȘtres; mais nâest-ce pas par mille hasards que vos ancĂȘtres les ont acquises et quâils les ont conservĂ©es? Vous imaginez-vous aussi que ce soit par quelque loi naturelle que ces biens ont passĂ© de vos ancĂȘtres Ă vous? Cela nâest pas vĂ©ritable. Cet ordre nâest fondĂ© que sur la seule volontĂ© des lĂ©gislateurs qui ont pu avoir de bonnes raisons, mais dont aucune nâest prise dâun droit naturel que vous avez sur ces choses. Sâil leur avait plu dâordonner que ces biens, aprĂšs avoir Ă©tĂ© possĂ©dĂ©s par les pĂšres durant leur vie, retourneraient Ă la rĂ©publique aprĂšs leur mort, vous nâauriez aucun sujet de vous en plaindre. Ainsi tout le titre par lequel vous possĂ©dez votre bien nâest pas un titre de nature, mais dâun Ă©tablissement humain. Un autre tour dâimagination dans ceux qui ont fait les lois vous aurait rendu pauvre; et ce nâest que cette rencontre du hasard qui vous a fait naĂźtre avec la fantaisie des lois favorable Ă votre Ă©gard qui vous met en possession de tous ces biens. Je ne veux pas dire quâils ne vous appartiennent pas lĂ©gitimement, et quâil soit permis Ă un autre de vous les ravir; car Dieu, qui en est le maĂźtre, a permis aux sociĂ©tĂ©s de faire des lois pour les partager; et quand ces lois sont une fois Ă©tablies, il est injuste de les violer. Câest ce qui vous distingue un peu de cet homme qui ne possĂ©derait son royaume que par lâerreur du peuple; parce que Dieu nâautoriserait pas cette possession, et lâobligerait Ă y renoncer, au lieu quâil autorise la vĂŽtre. Mais ce qui vous est entiĂšrement commun avec lui, câest que ce droit que vous y avez nâest point fondĂ©, non plus que le sien, sur quelque qualitĂ© et sur quelque mĂ©rite qui soit en vous et qui vous en rende digne. Votre Ăąme et votre corps sont dâeux-mĂȘmes indiffĂ©rents Ă lâĂ©tat de batelier ou Ă celui de duc; et il nây a nul lien naturel qui les attache Ă une condition plutĂŽt quâĂ une autre. Que sâensuit-il de lĂ ? Que vous devez avoir, comme cet homme dont nous avons parlĂ©, une double pensĂ©e ; et que si vous agissez extĂ©rieurement avec les hommes selon votre rang, vous devez reconnaĂźtre, par une pensĂ©e plus cachĂ©e mais plus vĂ©ritable, que vous nâavez rien naturellement au- dessus dâeux. Si la pensĂ©e publique vous Ă©lĂšve au-dessus du commun des hommes, que lâautre vous abaisse et vous tienne dans une parfaite Ă©galitĂ© avec tous les hommes; car câest votre Ă©tat naturel. Le peuple qui vous admire ne connaĂźt pas peut-ĂȘtre ce secret. Il croit que la noblesse est une grandeur rĂ©elle, et il considĂšre presque les Grands comme Ă©tant dâune autre nature que les autres. Ne leur dĂ©couvrez pas cette erreur, si vous voulez, mais nâabusez pas de cette Ă©lĂ©vation avec insolence, et surtout ne vous mĂ©connaissez pas vous-mĂȘme, en croyant que votre ĂȘtre a quelque chose de plus Ă©levĂ© que celui des autres. Que diriez-vous de cet homme qui aurait Ă©tĂ© fait roi par lâerreur du peuple, sâil venait Ă oublier tellement sa condition naturelle quâil sâimaginĂąt que ce royaume lui Ă©tait dĂ», quâil le mĂ©ritait et quâil lui appartenait de droit? Vous admireriez* sa sottise et sa folie. Mais y en a-t-il moins dans les personnes de condition qui vivent dans un si Ă©trange oubli de leur Ă©tat naturel? Que cet avis est important! Car tous les emportements, toute la violence, et toute la vanitĂ© des Grands, vient de ce quâils ne connaissent point ce quâils sont Ă©tant difficile que ceux qui se regarderaient intĂ©rieurement comme Ă©gaux Ă tous les hommes, et qui seraient bien persuadĂ©s quâils nâont rien en eux qui mĂ©rite ces petits avantages que Dieu leur a donnĂ©s au-dessus des autres, les traitassent avec insolence. Il faut sâoublier soi-mĂȘme pour cela, et croire quâon a quelque excellence rĂ©elle au-dessus dâeux; en quoi consiste cette illusion, que je tĂąche de vous dĂ©couvrir. » * Il faut comprendre vous vous Ă©tonneriez.» DeuxiĂšme discours. Il est bon, Monsieur, que vous sachiez ce que lâon vous doit, afin que vous ne prĂ©tendiez pas exiger des hommes ce qui ne vous est pas dĂ», car câest une injustice visible et cependant elle est fort commune Ă ceux de votre condition, parce quâils en ignorent la nature. Il y a dans le monde deux sortes de grandeurs; car il y a des grandeurs dâĂ©tablissement, et des grandeurs naturelles. Les grandeurs dâĂ©tablissement dĂ©pendent de la volontĂ© des hommes, qui ont cru avec raison devoir honorer certains Ă©tats, et y attacher certains respects. Les dignitĂ©s et la noblesse sont de ce genre. En un pays on honore les nobles, en lâautre les roturiers; en celui-ci les aĂźnĂ©s, en cet autre les cadets. Pourquoi cela? Parce quâil a plu aux hommes. La chose Ă©tait indiffĂ©rente avant lâĂ©tablissement aprĂšs lâĂ©tablissement, elle devient juste, parce quâil est injuste de troubler. Les grandeurs naturelles sont celles qui sont indĂ©pendantes de la fantaisie des hommes, parce quâelles consistent dans des qualitĂ©s rĂ©elles et effectives de lâĂąme ou du corps, qui rendent lâun ou lâautre plus estimable, comme les sciences, la lumiĂšre de lâesprit, la vertu, la santĂ©, la force. Nous devons quelque chose Ă lâune et Ă lâautre de ces grandeurs; mais comme elles sont dâune nature diffĂ©rente, nous leur devons aussi diffĂ©rents respects. Aux grandeurs dâĂ©tablissement, nous leur devons des respects dâĂ©tablissement, câest-Ă -dire certaines cĂ©rĂ©monies extĂ©rieures qui doivent ĂȘtre nĂ©anmoins accompagnĂ©es, selon la raison, dâune reconnaissance intĂ©rieure de la justice de cet ordre, mais qui ne nous font pas concevoir quelque qualitĂ© rĂ©elle en ceux que nous honorons de cette sorte il faut parler aux rois Ă genoux; il faut se tenir debout dans la chambre des princes. Câest une sottise et une bassesse dâesprit que de leur refuser ces devoirs. Mais pour les respects naturels, qui consistent dans lâestime, nous ne les devons quâaux grandeurs naturelles, et nous devons au contraire le mĂ©pris et lâaversion aux qualitĂ©s contraires Ă ces grandeurs naturelles. Il nâest pas nĂ©cessaire, parce que vous ĂȘtes duc, que je vous estime, mais il est nĂ©cessaire que je vous salue. Si vous ĂȘtes duc et honnĂȘte homme, je rendrai ce que je dois Ă lâune et Ă lâautre de ces qualitĂ©s. Je ne vous refuserai point les cĂ©rĂ©monies que mĂ©rite votre qualitĂ© de duc, ni lâestime que mĂ©rite celle dâhonnĂȘte homme. Mais si vous Ă©tiez duc sans ĂȘtre honnĂȘte homme, je vous ferais encore justice; car en vous rendant les devoirs extĂ©rieurs que lâordre des hommes a attachĂ©s Ă votre naissance, je ne manquerais pas dâavoir pour vous le mĂ©pris intĂ©rieur que mĂ©riterait la bassesse de votre esprit. VoilĂ en quoi consiste la justice de ces devoirs. Et lâinjustice consiste Ă attacher les respects naturels aux grandeurs dâĂ©tablissement, ou Ă exiger les respects dâĂ©tablissement pour les grandeurs naturelles. M. N*** est un plus grand gĂ©omĂštre que moi; en cette qualitĂ© il veut passer devant moi? je lui dirai quâil nây entend rien. La gĂ©omĂ©trie est une grandeur naturelle, elle demande une prĂ©fĂ©rence dâestime, les hommes nây ont attachĂ© aucune prĂ©fĂ©rence extĂ©rieure. Je passerai donc devant lui, et lâestimerai plus que moi en qualitĂ© de gĂ©omĂštre. De mĂȘme si, Ă©tant duc et pair, vous ne vous contentez pas que je me tienne dĂ©couvert devant vous, et que vous voulussiez encore que je vous estimasse, je vous prierais de me montrer les qualitĂ©s qui mĂ©ritent mon estime. Si vous le faisiez, elle vous est acquise, et je ne vous la pourrais refuser avec justice; mais si vous ne le faisiez pas, vous seriez injuste de me la demander, et assurĂ©ment vous nây rĂ©ussiriez pas, fussiez-vous le plus grand prince du monde. » TroisiĂšme discours. Je veux vous faire connaĂźtre, Monsieur, votre condition vĂ©ritable, car câest la chose du monde que les personnes de votre sorte ignorent le plus. Quâest-ce Ă votre avis dâĂȘtre grand seigneur? Câest ĂȘtre maĂźtre de plusieurs objets de la concupiscence des hommes, et ainsi pouvoir satisfaire aux besoins et aux dĂ©sirs de plusieurs. Ce sont ces besoins et ces dĂ©sirs qui les attirent auprĂšs de vous, et qui font quâils se soumettent Ă vous; sans cela ils ne vous regarderaient pas seulement; mais ils espĂšrent, par ces services et ces dĂ©fĂ©rences quâils vous rendent, obtenir de vous quelque part de ces biens quâils dĂ©sirent et dont ils voient que vous disposez. Dieu est environnĂ© de gens pleins de charitĂ©, qui lui demandent les biens de la charitĂ© qui sont en sa puissance ainsi il est proprement le roi de la charitĂ©. Vous ĂȘtes de mĂȘme environnĂ© dâun petit nombre de personnes, sur qui vous rĂ©gnez en votre maniĂšre. Ces gens sont pleins de concupiscence. Ils vous demandent les biens de la concupiscence. Câest la concupiscence qui les attache Ă vous. Vous ĂȘtes donc proprement un roi de concupiscence, votre royaume est de peu dâĂ©tendue, mais vous ĂȘtes Ă©gal en cela aux plus grands rois de la terre. Ils sont comme vous des rois de concupiscence. Câest la concupiscence qui fait leur force, câest-Ă -dire la possession des choses que la cupiditĂ© des hommes dĂ©sire. Mais en connaissant votre condition naturelle, usez des moyens quâelle vous donne; et ne prĂ©tendez pas rĂ©gner par une autre voie que par celle qui vous fait roi. Ce nâest point votre force et votre puissance naturelle qui vous assujettit toutes ces personnes. Ne prĂ©tendez donc point les dominer par la force, ni les traiter avec duretĂ©. Contentez leurs justes dĂ©sirs, soulagez leurs nĂ©cessitĂ©s, mettez votre plaisir Ă ĂȘtre bienfaisant, avancez-les autant que vous le pourrez, et vous agirez en vrai roi de concupiscence. Ce que je vous dis ne va pas bien loin; et si vous en demeurez lĂ , vous ne laisserez pas de vous perdre, mais au moins vous vous perdrez en honnĂȘte homme. Il y a des gens qui se damnent si sottement par lâavarice, par la brutalitĂ©, par les dĂ©bauches, par la violence, par les emportements, par les blasphĂšmes! Le moyen que je vous ouvre est sans doute plus honnĂȘte; mais en vĂ©ritĂ© câest toujours une grande folie que de se damner. Et câest pourquoi il nâen faut pas demeurer lĂ . Il faut mĂ©priser la concupiscence et son royaume, et aspirer Ă ce royaume de charitĂ© oĂč tous les sujets ne respirent que la charitĂ© et ne dĂ©sirent que les biens de la charitĂ©. Dâautres que moi vous en diront le chemin; il me suffit de vous avoir dĂ©tournĂ© de ces vies brutales oĂč je vois que plusieurs personnes de votre condition se laissent emporter faute de bien connaĂźtre lâĂ©tat vĂ©ritable de cette condition. » . Commentaire. PrĂ©sentation du texte. Lâopuscule Trois discours sur la condition des grands nâest pas Ă©crit par Pascal. Il est le rĂ©cit que Nicole Auteur des Essais de morale. JansĂ©niste de renom donna, dix ans aprĂšs la mort de Pascal, des conversations que le philosophe eut sur ce thĂšme aux alentours de 1660. Dans la prĂ©face qui prĂ©cĂšde le texte, Nicole Ă©crit Une des choses sur lesquelles feu M. Pascal avait plus de vues Ă©tait lâinstruction dâun prince que lâon tĂącherait dâĂ©lever de la maniĂšre la plus proportionnĂ©e Ă lâĂ©tat oĂč Dieu lâappelle, et la plus propre pour le rendre capable dâen remplir tous les devoirs et dâen Ă©viter tous les dangers. On lui a souvent ouĂŻ dire quâil nây avait rien Ă quoi il dĂ©sirĂąt plus de contribuer pourvu quâil y fĂ»t bien engagĂ©, et quâil sacrifierait volontiers sa vie pour une chose si importante. Et comme il avait accoutumĂ© dâĂ©crire les pensĂ©es qui lui venaient sur les sujets dont il avait lâesprit occupĂ©, ceux qui lâont connu se sont Ă©tonnĂ©s de nâavoir rien trouvĂ© dans celles qui sont restĂ©es de lui, qui regardĂąt expressĂ©ment cette matiĂšre quoique lâon puisse dire en un sens quâelles la regardent toutes, nây ayant guĂšre de livres qui puissent plus servir Ă former lâesprit dâun prince que le recueil que lâon en a fait. Il faut donc ou que ce quâil a Ă©crit de cette matiĂšre ait Ă©tĂ© perdu, ou quâayant ces pensĂ©es extrĂȘmement prĂ©sentes, il ait nĂ©gligĂ© de les Ă©crire Et comme par lâune et lâautre cause le public sâen trouve Ă©galement privĂ©, il est venu dans lâesprit dâune personne, qui a assistĂ© Ă trois discours assez courts quâil fit en divers temps Ă un enfant de grande condition et dont lâesprit, qui Ă©tait extrĂȘmement avancĂ©, Ă©tait dĂ©jĂ capable des vĂ©ritĂ©s les plus fortes, dâĂ©crire neuf ou dix ans aprĂšs ce quâil en a retenu. Or, quoique aprĂšs un si long temps il ne puisse pas dire que ce soient les propres paroles dont M. Pascal se servit alors, nĂ©anmoins tout ce quâil disait faisait une impression si vive sur lâesprit, quâil nâĂ©tait pas possible de lâoublier. Et ainsi il peut assurer que ce sont au moins ses pensĂ©es et ses sentiments⊠» Quel est le jeune prince auquel il sâadresse ? On pense quâil sâagit du fils aĂźnĂ© du duc de Luynes, pour qui Nicole et Arnauld Ă©crivirent, en 1662, La logique de Port-Royal. Le duc de Luynes son pĂšre nâavait pas moins dâespritâŠ, ni moins dâapplication et de savoir. Il sâĂ©tait liĂ©, par le voisinage de Dampierre, avec les solitaires de Port-Royal-des-Champs, et aprĂšs la mort de sa premiĂšre femme, mĂšre du duc de Chevreuse, sây Ă©tait retirĂ© avec eux ; il avait pris part Ă leur pĂ©nitence et Ă quelques-uns de leurs ouvrages, et il les pria de prendre soin de lâinstruction de son fils⊠Ces messieurs y mirent tous leurs soins par attachement pour le pĂšre, et par celui que leur donna pour leur Ă©lĂšve le fonds de douceur, de sagesse et de talents quâils y trouvĂšrent Ă cultiver. » Saint Simon citĂ© par Havet et repris dans lâĂ©dition des PensĂ©es et Opuscules par Brunschvicg. Le jeune prince Ă©pousa la fille aĂźnĂ©e de Colbert et prit le nom de duc de Chevreuse ; il devĂźnt Ă la fin du rĂšgne de Louis XIV, lâun des chefs du parti qui se forma autour du duc de Bourgogne et de FĂ©nelon, et qui rĂȘvait de la rĂ©forme du gouvernement en France. Il mourut en 1712. Questions portant sur le premier discours 1 Quel est le thĂšme de ce premier discours ? 2 Quel est le sens de la parabole qui ouvre le texte ? 3 Que signifie lâexpression il avait une double pensĂ©e » ? 4 Quâest-ce qui fonde lâordre social ? Expliquez la phrase Cet ordre nâest fondĂ© que sur la seule volontĂ© des lĂ©gislateurs qui ont pu avoir de bonnes raisons, mais dont aucune nâest prise dâun droit naturel que vous avez sur ces choses ». 5 Ce fondement est-il de nature Ă disqualifier les ordres Ă©tablis pour Pascal ? Quâest-ce donc qui distingue le futur duc de Chevreuse de lâhomme de la parabole ? 6 Est-il souhaitable que le peuple ait cette intelligence de la nature de lâordre politique ? Pourquoi ? 7 Quelle prescription morale Pascal tire-t-il de sa parabole? NB Pour rĂ©pondre avec prĂ©cision Ă ces questions aidez-vous du remarquable commentaire de Katia Genel dans Blaise Pascal, Trois discours sur la condition des Grands, Folio plus, philosophie, 2006 Ă qui je veux rendre hommage ici. Correction 1 Le thĂšme de ce premier discours est la condition des Grands et Ă travers elle la condition humaine. Les Grands » sont les hommes qui, dans une sociĂ©tĂ© donnĂ©e, occupent les positions de pouvoir, de prestige et de richesse. Dans la sociĂ©tĂ© dâAncien RĂ©gime, il y a les nobles et les roturiers. Le Grand » est le noble, comte, duc, marquis, roi. LâidĂ©e de condition connote, en ce sens, celle de condition sociale et renvoie Ă la situation des personnes dans un ordre social hiĂ©rarchique. Depuis 1789 les privilĂšges de la noblesse ont Ă©tĂ© supprimĂ©s en France mais cela ne signifie pas quâun ordre dĂ©mocratique puisse faire lâĂ©conomie dâune hiĂ©rarchie. Il faut bien investir certains individus des fonctions dâautoritĂ© sans lesquelles il nây a pas dâordre social possible. Le propos pascalien nâest donc pas circonstanciel, il a valeur dâune vĂ©ritĂ© universelle et Ă©ternelle. Le philosophe invite le futur duc de Chevreuse Ă mĂ©diter sur sa condition de Grand et cette mĂ©ditation est lâoccasion de prendre conscience de la nature de la condition humaine en gĂ©nĂ©ral. Quelle est la situation de lâhomme dans lâunivers ? Quelle est sa situation dans son rapport aux autres hommes et Ă lui-mĂȘme ? VoilĂ ce quâil est urgent de mĂ©diter afin de ne pas entretenir des illusions sur soi-mĂȘme et de savoir se conduire. 2 Le texte sâouvre par une parabole. On entend par lĂ un rĂ©cit allĂ©gorique contenant un enseignement thĂ©orique et moral. Pour entrer dans la vĂ©ritable connaissance de votre condition, considĂ©rez-la dans cette image » dit le texte. Il sâagit de se figurer » les choses câest-Ă -dire de dĂ©placer son point de vue sur une situation grĂące Ă une expĂ©rience de pensĂ©e », expĂ©rience qui ne peut pas ĂȘtre rĂ©ellement effectuĂ©e mais dont la fiction doit permettre de saisir une vĂ©ritĂ©. Pascal mobilise ici le secours de lâimagination dont un de ses grands thĂšmes est de souligner la puissance. Elle est capable de produire des effets. Câest elle qui rĂšgne en souveraine dans le monde et sa souverainetĂ© est telle que le penseur, soucieux de dĂ©jouer les effets dâillusion quâelle produit sur la scĂšne mondaine, doit lâinstrumentaliser pour produire des effets de vĂ©ritĂ©. La fable met en scĂšne un homme jetĂ© par la tempĂȘte sur une Ăźle inconnue. Les habitants de ce lieu, Ă la recherche de leur roi Ă©garĂ©, le prennent pour le souverain quâils cherchent. Absolu hasard de la rencontre, mĂ©prise sur les personnes, dĂ©sir du roi manquant de la part du peuple insulaire. En deux lignes, la parabole figure sous forme concrĂšte les significations que Pascal veut faire entendre Ă son Ă©lĂšve. Dâabord il veut signifier que le hasard prĂ©side Ă lâexistence et Ă la situation des uns et des autres, Ă la fois dans la sociĂ©tĂ© et dans la nature. Lâexistence est contingente. Elle nâa pas en elle-mĂȘme de raison dâĂȘtre. [âŠ] vous ne vous trouvez au monde que par une infinitĂ© de hasards. Votre naissance dĂ©pend dâun mariage, ou plutĂŽt de tous les mariages de ceux dont vous descendez. Mais ces mariages, dâoĂč dĂ©pendent-ils? Dâune visite faite par rencontre, dâun discours en lâair, de mille occasions imprĂ©vues. » ThĂšme rĂ©current chez Pascal ou dans lâexistentialisme. Notre existence nâa pas en soi de justification. DâoĂč lâangoisse et pour Pascal la nĂ©cessitĂ© de la surmonter en pariant Dieu. Je ne sais qui mâa mis au monde, ni ce que câest que le monde, ni que moi-mĂȘme; je suis dans une ignorance terrible de toutes choses; je ne sais ce que câest que mon corps, que mes sens, que mon Ăąme et que cette partie mĂȘme de moi qui pense ce que je dis, qui fait rĂ©flexion sur tout et sur elle-mĂȘme, et ne se connaĂźt non plus que le reste. Je vois ces effroyables espaces de lâunivers qui mâenferment, et je me trouve attachĂ© Ă un coin de cette vaste Ă©tendue, sans que je sache pourquoi je suis plutĂŽt placĂ© en ce lieu quâen un autre, ni pourquoi ce peu de temps qui mâest donnĂ© Ă vivre mâest assignĂ© Ă ce point plutĂŽt quâĂ un autre de toute lâĂ©ternitĂ© qui mâa prĂ©cĂ©dĂ© et de toute celle qui me suit. Je ne vois que des infinitĂ©s de toutes parts, qui mâenferment comme un atome et comme une ombre qui ne dure quâun instant sans retour. Tout ce que je connais est que je dois bientĂŽt mourir, mais ce que jâignore le plus est cette mort mĂȘme que je ne saurais Ă©viter. » PensĂ©es, B 194. Il y a chez Pascal une insistance Ă souligner la dimension misĂ©rable de lâexistence humaine, Ă la fois pour comprendre la propension des hommes Ă se la dissimuler et pour dĂ©noncer la vanitĂ© des chemins empruntĂ©s. Cette misĂšre est celle dâun ĂȘtre ayant Ă©tĂ© dĂ©chu dâune condition originelle marquĂ©e par la fĂ©licitĂ© de lâhomme avec Dieu ». Câest lĂ le prĂ©supposĂ© thĂ©ologique de Pascal. Son analyse de la condition naturelle et de la condition politique des hommes sâenracine dans la tradition chrĂ©tienne. Lâhomme a perdu sa nature premiĂšre en perdant Dieu mais la perfection divine a laissĂ© en lui un vide quâil cherche vainement Ă combler. Il a conscience de sa misĂšre et cette conscience mĂȘme est un signe de sa grandeur. Ni ange, ni bĂȘte, il aspire Ă une plĂ©nitude qui se refuse, Ă une justification quâil ne pourrait trouver que dans un Absolu, en Dieu dit Pascal, mais sa nature corrompue lâincline Ă les chercher lĂ oĂč elles ne sont pas dans les biens de lâordre de la chair et dans ceux de lâordre de lâesprit. Sans la grĂące divine il ignore que son salut se trouve dans les biens dâun ordre surnaturel, lâordre de la supĂ©rioritĂ© dont le Christ a donnĂ© la mesure. DâoĂč sa frĂ©nĂ©sie Ă passer tout le jour Ă courir aprĂšs un liĂšvre quâil ne voudrait pas avoir achetĂ© » et sa recherche des marques de reconnaissance sociale, tout cela participant de ce que Pascal appelle le divertissement. Les conduites et les institutions humaines sont toujours pensĂ©es par notre philosophe sur fond de cette misĂšre ontologique. Il sâagit de combler un manque dâĂȘtre, de tenir en respect une angoisse existentielle, le dĂ©sir de grandeur, dâestime Ă©tant, lui aussi, un moyen de masquer son inconsistance et de demander aux autres la justification manquante. Or Il est faux que nous soyons dignes que les autres nous aiment, il est injuste que nous le voulions. Si nous naissions raisonnables et indiffĂ©rents, et connaissant nous et les autres, nous ne donnerions point cette inclination Ă notre volontĂ©. Nous naissons pourtant avec elle ; nous naissons donc injustes car tout tend Ă soi » PensĂ©es, B 477. Qui ne hait en soi son amour-propre, et cet instinct qui le porte Ă se faire Dieu est bien aveuglĂ©. Qui ne voit que rien nâest si opposĂ© Ă la justice et Ă la vĂ©ritĂ© » PensĂ©es, B 492. Les hommes Ă©tant ce qu'ils sont, les ordres Ă©tablis sortent de leur concurrence pour le pouvoir, le prestige, la richesse. Ils ont pour fonction de stabiliser les rapports de force en leur donnant lâautoritĂ© du droit. D'oĂč la nĂ©cessitĂ© d'attacher certains respects aux grandeurs instituĂ©es afin de promouvoir le dĂ©passement de la violence des prĂ©tentions rivales. Pascal voit dans le respect le vĂ©ritable opĂ©rateur de civilitĂ©, le moyen de convertir l'injustice naturelle en justice civile. Mais la civilisation de lâinjustice naturelle ne la supprime pas En un mot le moi a deux qualitĂ©s il est injuste en soi en ce quâil se fait le centre de tout, il est incommode aux autres, en ce quâil veut les asservir. Car chaque moi est lâennemi et voudrait ĂȘtre le tyran de tous les autres. Vous en ĂŽtez lâincommoditĂ© mais non pas lâinjustice ; et ainsi vous ne le rendez pas aimable Ă ceux qui en haĂŻssent lâinjustice ; vous ne le rendez aimable quâaux injustes, et ainsi vous demeurez injuste et vous ne pouvez plaire quâaux injustes » B 455. Au regard de la grandeur christique en effet, les grandeurs de lâordre de la chair et celles de lâordre de lâesprit nâen sont pas. Câest dire que nul Grand ne peut se prĂ©valoir de la vĂ©ritable grandeur. Sa supĂ©rioritĂ© nâest quâun effet de la fantaisie des hommes et des hasards de lâhistoire. Elle est aussi contingente que lâexistence Vous tenez, dites-vous, vos richesses de vos ancĂȘtres; mais nâest-ce pas par mille hasards que vos ancĂȘtres les ont acquises et quâils les ont conservĂ©es? Vous imaginez-vous aussi que ce soit par quelque loi naturelle que ces biens ont passĂ© de vos ancĂȘtres Ă vous? Cela nâest pas vĂ©ritable. Cet ordre nâest fondĂ© que sur la seule volontĂ© des lĂ©gislateurs qui ont pu avoir de bonnes raisons, mais dont aucune nâest prise dâun droit naturel que vous avez sur ces choses. Sâil leur avait plu dâordonner que ces biens, aprĂšs avoir Ă©tĂ© possĂ©dĂ©s par les pĂšres durant leur vie, retourneraient Ă la rĂ©publique aprĂšs leur mort, vous nâauriez aucun sujet de vous en plaindre.» Le deuxiĂšme enjeu de la parabole est dâĂ©tablir que lâimagination est la grande maĂźtresse des reprĂ©sentations aussi bien chez les dominĂ©s que chez les dominants. Elle conforte le Grand dans le sentiment dâune grandeur dont il ne voit pas quâelle nâest que dâĂ©tablissement mais elle est aussi ce qui est au principe de la reconnaissance des hiĂ©rarchies Ă©tablies par le peuple. Câest ce quâindique la mĂ©prise sur la personne du roi. Le naufragĂ© est pris pour le roi disparu. Ce qui lui confĂšre son statut qui, Ă lâĂ©vidence dans lâexpĂ©rience de pensĂ©e, est un statut usurpĂ©, tient Ă certains signes extĂ©rieurs. Il a beaucoup de ressemblance de corps et de visage avec ce roi ». Il faut comprendre que la royautĂ© nâest pas une qualitĂ© physique. Le roi nâest pas roi par son corps physique, il lâest par les attributs de sa fonction, aussi ne se montre-t-il jamais nu mais toujours parĂ© des signes de son pouvoir et de sa dignitĂ© vĂȘtements, emblĂšmes, assemblĂ©e de dignitaires etc. Il figure en sa personne physique une personne morale, celle du peuple unifiĂ© en une communautĂ© dâintĂ©rĂȘts, et cela en vertu de la puissance de lâimagination qui confond lâimage de la chose avec la chose elle-mĂȘme. Cf. La coutume de voir les rois accompagnĂ©s de gardes, de tambours, dâofficiers, et de toutes les choses qui ploient la machine vers le respect et la terreur, fait que leur visage, quand il est quelquefois seul et sans accompagnements, imprime Ă leurs sujets le respect et la terreur, parce quâon se sĂ©pare point dans la pensĂ©e leurs personnes dâavec leurs suites, quâon y voit dâordinaire jointes. Et le monde qui ne sait pas que cet effet vient de cette coutume, croit quâil vient dâune force naturelle ; et de lĂ viennent ces mots le caractĂšre de la DivinitĂ© est empreint sur son visage, etc. » » PensĂ©es, B 308. Enfin cette parabole montre que lâordre social nâest pas ce qui est imposĂ© par la force par des dominants mĂȘme si ce qui le sous-tend est, en derniĂšre analyse, la force. Si câĂ©tait le cas le peuple libĂ©rĂ© de son roi ne le chercherait pas et ne rendrait pas les respects dus Ă la fonction royale Ă celui quâil prend pour son roi. Cela signifie quâun ordre social ne tient que par le consentement de ceux qui le constituent. Sa lĂ©gitimitĂ© de fait revĂȘt une lĂ©gitimitĂ© de droit par la grĂące de lâimagination. Sans la conversion de la force en justice, la force ne peut pas fonder un ordre stable. Elle est par elle-mĂȘme impuissante, elle a besoin dâune justification morale et câest lâimagination qui confĂšre lâapparence du droit Ă ce qui en soi est Ă©tranger au droit. Pascal a dit cela dans un texte fameux Il est juste que ce qui est juste soit suivi, il est nĂ©cessaire que ce qui est le plus fort soit suivi. La justice sans la force est impuissante ; la force sans la justice est tyrannique. La justice sans force est contredite parce quâil y a toujours des mĂ©chants ; la force sans la justice est accusĂ©e. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force et pour cela faire que ce qui est juste soit fort ou que ce qui est fort soit juste. La justice est sujette Ă dispute, la force est trĂšs reconnaissable et sans dispute. Ainsi on nâa pu donner la force Ă la justice parce que la force a contredit la justice et a dit que câĂ©tait elle qui Ă©tait juste. Et ainsi ne pouvant faire que ce qui est juste fĂ»t fort on a fait que ce qui est fort fĂ»t juste » PensĂ©es, B 298. 3 Le personnage mis en scĂšne se laisse traiter en roi mais il nâignore pas quâil nâa aucun titre Ă le faire. Et câest ce qui le distingue du vrai roi. Celui-ci a Ă©tĂ© instituĂ© dans la position qui est la sienne. Le pouvoir politique a bien un fondement lĂ©gitime et câest son institution de fait alors que notre naufragĂ© nâa aucune lĂ©gitimitĂ©. En droit positif, il serait un pur usurpateur et Pascal ne veut pas laisser supposer que câest le cas des souverains rĂ©els de lâhistoire. Je ne veux pas dire quâils vos biens, votre statut ne vous appartiennent pas lĂ©gitimement, et quâil soit permis Ă un autre de vous les ravir; car Dieu, qui en est le maĂźtre, a permis aux sociĂ©tĂ©s de faire des lois pour les partager; et quand ces lois sont une fois Ă©tablies, il est injuste de les violer. Câest ce qui vous distingue un peu de cet homme qui ne possĂ©derait son royaume que par lâerreur du peuple; parce que Dieu nâautoriserait pas cette possession, et lâobligerait Ă y renoncer, au lieu quâil autorise la vĂŽtre. Mais ce qui vous est entiĂšrement commun avec lui, câest que ce droit que vous y avez nâest point fondĂ©, non plus que le sien, sur quelque qualitĂ© et sur quelque mĂ©rite qui soit en vous et qui vous en rende digne. Votre Ăąme et votre corps sont dâeux-mĂȘmes indiffĂ©rents Ă lâĂ©tat de batelier ou Ă celui de duc; et il nây a nul lien naturel qui les attache Ă une condition plutĂŽt quâĂ une autre. » Le naufragĂ© nâa aucun titre positif Ă ĂȘtre roi. Le rĂŽle quâil accepte dâendosser est une pure imposture et il y a tout lieu de penser quâil sâexpose Ă ĂȘtre dĂ©masquĂ© un jour ou lâautre. Pascal le suggĂšre en disant que Dieu nâautoriserait pas cette possession, et lâobligerait Ă y renoncer ». Câest la limite de la fiction utilisĂ©e pour instruire le jeune prince. Il ne sâagit pas de prĂ©tendre que les grandeurs dâĂ©tablissement sont des usurpations du type de celle que figure le personnage de la parabole. En ce sens il y a une grande diffĂ©rence entre lui et le roi de lâhistoire. RĂ©ponse Ă la question 5 La remarque suggĂšre aussi que la position de Pascal est moins conventionnaliste quâelle sâaffiche. Car si lâinstitution sociale est de pure convention, les conventions sociales sont prĂ©sentĂ©es ici comme cautionnĂ©es par la loi divine ou loi naturelle. La citĂ© des hommes nâest pas la citĂ© de Dieu, et en ce sens elle nâa aucun fondement naturel, cela Ă©tant les Etats correspondent aux besoins de la nature humaine, Ă lâordre naturel tel quâil a Ă©tĂ© voulu par Dieu. Il faut rendre Ă CĂ©sar ce qui est Ă CĂ©sar et Ă Dieu ce qui est Ă Dieu » lit-on dans Matthieu, XXII, 21 et le premier thĂ©ologien chrĂ©tien du droit naturel de lâEtat, St Paul Ă©crit Que toute personne soit soumise aux autoritĂ©s supĂ©rieures ; car il nây a point dâautoritĂ© qui ne vienne de Dieu et les autoritĂ©s qui existent ont Ă©tĂ© instituĂ©es par Dieu. Câest pourquoi celui qui sâoppose Ă lâautoritĂ© rĂ©siste Ă lâordre que Dieu a Ă©tabli ». EpĂźtre aux Romains XIII Cette rĂ©serve Ă©tant soulignĂ©e, il y a un point commun entre le roi de la parabole et le roi de lâhistoire. Lâun et lâautre nâont aucun titre naturel Ă se prĂ©valoir de leur statut social. Celui-ci nâa pas de fondement naturel, il nâa quâun fondement conventionnel. VoilĂ pourquoi il est important que le Grand ait une double pensĂ©e ». PensĂ©e publique, officielle dâune part, pensĂ©e intĂ©rieure, secrĂšte dâautre part. Notons que Pascal ne les met pas sur le mĂȘme plan. Lâune est plus vĂ©ritable » que lâautre, entendons, elle est plus conforme Ă la vĂ©ritĂ© des choses. Dans le for intĂ©rieur, elle permet Ă chacun, au Grand comme aux autres, de savoir que nul nâa un titre naturel Ă se prĂ©valoir dâune supĂ©rioritĂ© de droit. En nature les hommes sont Ă©gaux, nul nâest nĂ© absolument supĂ©rieur Ă un autre. Les inĂ©galitĂ©s physiques, intellectuelles ne sont pas synonymes dâinĂ©galitĂ© morale. Les enfants de Dieu sont Ă©gaux aussi bien en qualitĂ© de crĂ©atures de Dieu que de crĂ©atures dĂ©chues. Le Grand, socialement, ne doit pas afficher cette pensĂ©e cachĂ©e, pensĂ©e de derriĂšre » comme lâappelle aussi Pascal car il doit assumer son rĂŽle social. Par sa seconde pensĂ©e, il doit donc avoir une conscience, non moins claire, de sa position sociale afin dâen assumer les obligations avec le sens des convenances propres aux Ă©tablissements humains. Par lâune, il doit traiter avec lui-mĂȘme, par lâautre il doit traiter avec le peuple. 4 Lâordre social, vient-on de comprendre, nâa pas de fondement naturel. Les rapports gouvernants-gouvernĂ©s sont conventionnellement Ă©tablis. Ils ne dĂ©rivent pas de la nature des choses. En effet, aucun homme, nâest par nature, habilitĂ© Ă gouverner dâautres hommes. Platon le disait Ă sa maniĂšre Ce ne sont pas des bĆufs que nous prenons pour rĂ©gir des bĆufs, pas davantage des chĂšvres pour rĂ©gir des chĂšvres, mais câest nous, en tant que nous sommes dâune autre espĂšce supĂ©rieure Ă la leur, qui sommes leurs maĂźtres » Lois, 713 d-e. St Augustin aussi Dieu a voulu que lâĂȘtre raisonnable fait Ă son image ne dominĂąt que sur des ĂȘtres irraisonnables, non pas lâhomme sur lâhomme, mais lâhomme sur la bĂȘte. VoilĂ pourquoi les premiers justes Ă©taient Ă©tablis comme pasteurs de troupeaux plutĂŽt que comme rois des hommes » St Augustin. La CitĂ© de Dieu, XIX, 15. Il sâensuit que seul un ĂȘtre dâune essence supĂ©rieure Ă lâhumaine nature pourrait ĂȘtre autorisĂ© Ă revendiquer une vĂ©ritable supĂ©rioritĂ© et seul un tel ĂȘtre pourrait ordonner les rapports humains selon la loi de justice et dâamour. On a traditionnellement donnĂ© le nom de Dieu Ă cet idĂ©al et les instituteurs lĂ©gendaires des peuples ont cherchĂ© Ă gouverner en son nom MoĂŻse, Mahomet par exemple. ManiĂšre de pointer le caractĂšre aporĂ©tique du problĂšme politique. Car Il ne naĂźt pas dans les Etats de roi comme il en Ă©clĂŽt dans les ruches, douĂ©s de naissance dâun corps et dâun esprit supĂ©rieur » Ă©crit Platon, Politique, 301 c. Votre Ăąme et votre corps sont dâeux-mĂȘmes indiffĂ©rents Ă lâĂ©tat de batelier ou Ă celui de duc; et il nây a nul lien naturel qui les attache Ă une condition plutĂŽt quâĂ une autre. » dit Pascal. Avec ce propos, le philosophe sâinscrit clairement dans une position conventionnaliste en matiĂšre juridique et politique. Ce qui fonde les ordres politiques câest dâavoir Ă©tĂ© instituĂ©s. Ils ne sont pas fondĂ©s en nature ou en raison. Ils sont contingents et ne peuvent se prĂ©valoir dâune justice naturelle. Leur justice nâest que de convention mais il ne sâagit pas dâen discuter la lĂ©gitimitĂ© dans lâordre qui est le leur. Lâinstitution juridique repose sur de bonnes raisons dont la plus essentielle est dâassurer la paix civile. VoilĂ pourquoi il nâest pas souhaitable que ceux qui ont Ă obĂ©ir aux lois aient lâintelligence de leur caractĂšre conventionnel. Ils pourraient ĂȘtre tentĂ©s de cesser dâobĂ©ir. Ce serait sans victoire pour la vraie justice et trĂšs prĂ©judiciable pour la paix civile rĂ©ponse Ă la question 6. En revanche du point de vue de lâordre de la supĂ©rioritĂ© vĂ©ritable, les ordres civils sont des figures de dĂ©sordre et dâinjustice. Conclusion Pascal dĂ©gage Ă la fin de son texte les implications morales de son analyse. Il en est des Grands ce quâil en est de notre naufragĂ©. Ils nâont aucun titre naturel Ă se prĂ©valoir du statut de supĂ©rioritĂ© que la fantaisie des conventions humaines et les hasards de lâhistoire leur ont octroyĂ©. Cette prise de conscience est nĂ©cessaire pour sâaffranchir de la morgue, de la vanitĂ©, de lâinsolence voire de la cruautĂ© que se permettent trop souvent ceux qui vivent dans la mĂ©connaissance de la vĂ©ritĂ© de leur condition naturelle et de leur condition sociale. Car tous les emportements, toute la violence, et toute la vanitĂ© des Grands, vient de ce quâils ne connaissent point ce quâils sont Ă©tant difficile que ceux qui se regarderaient intĂ©rieurement comme Ă©gaux Ă tous les hommes, et qui seraient bien persuadĂ©s quâils nâont rien en eux qui mĂ©rite ces petits avantages que Dieu leur a donnĂ©s au-dessus des autres, les traitassent avec insolence. Il faut sâoublier soi-mĂȘme pour cela, et croire quâon a quelque excellence rĂ©elle au-dessus dâeux; en quoi consiste cette illusion, que je tĂąche de vous dĂ©couvrir. » Questions portant sur le deuxiĂšme discours 1 Explicitez le sens de la distinction entre les grandeurs naturelles et les grandeurs d'Ă©tablissement. 2 Expliquez Aux grandeurs d'Ă©tablissement, nous leur devons des respects d'Ă©tablissement, c'est-Ă -dire certaines cĂ©rĂ©monies extĂ©rieures qui doivent ĂȘtre nĂ©anmoins accompagnĂ©es, selon la raison, d'une reconnaissance intĂ©rieure de la justice de cet ordre.» Pointez le paradoxe. Qu'est-ce qui justifie le propos de Pascal? 3 Quel usage Pascal fait-il de la notion de justice et d'injustice? Utilisez le commentaire du texte du philosophe portant sur les trois ordres pour approfondir votre rĂ©ponse. Correction sous forme de commentaire de texte. Introduction Quâest-ce que les hommes reconnaissent comme des grandeurs thĂšme ou des valeurs ? Question La thĂšse de Pascal consiste Ă dire quâil y a deux ordres de grandeurs, la premiĂšre partie sâefforçant de dĂ©terminer la nature de ce quâil appelle des grandeurs dâĂ©tablissement et des grandeurs naturelles. Il va de soi que ces diffĂ©rentes grandeurs appellent diffĂ©rents types de respect. Aux grandeurs dâĂ©tablissement, respect dâĂ©tablissement ; aux grandeurs naturelles, respect naturel. Telle est la thĂšse qui a rendu Pascal cĂ©lĂšbre. Mais ce nâest lĂ que le premier niveau de la problĂ©matique du texte, le plus simple. Ce qui est beaucoup plus subtil est le jugement formulĂ© Ă propos des respects dâĂ©tablissement. Ils doivent, apprend-on, ĂȘtre nĂ©anmoins accompagnĂ©s selon la raison dâune reconnaissance intĂ©rieure de la justice de cet ordre ». Ou bien Câest une sottise et une bassesse dâesprit que de leur refuser ces devoirs ».VoilĂ qui a de quoi surprendre. Nâest-il pas contradictoire de fonder en raison, ce qui a Ă©tĂ© prĂ©alablement analysĂ© comme une simple convention, expression de la fantaisie et de lâarbitraire humains ? Peut-on Ă la fois disjoindre radicalement un ordre naturel et un ordre conventionnel au point de rĂ©cuser toute prĂ©tention Ă fonder naturellement lâĂ©tablissement humain et lĂ©gitimer celui-ci comme juste selon la raison ? LâĂ©lucidation de ce paradoxe constitue le point le plus important de ce texte oĂč Pascal livre sa conception, proprement tragique de lâordre politique. I Les deux sortes de grandeurs. Distinguer des grandeurs ou des ordres ; Pascal est coutumier de ce souci. On se souvient de la distinction des trois ordres. Ici, la distinction ne sâopĂšre pas au sein de la nature, entre les corps et les esprits, ou entre la nature et la surnature câest-Ă -dire entre les deux premiers ordres de lâextĂ©rioritĂ© et de lâintĂ©rioritĂ© et lâordre de la supĂ©rioritĂ©. Elle sâopĂšre entre ce qui est par nature, comme disaient les sophistes et ce qui est par convention, Lâobjet auquel sâapplique cette distinction est ce que Pascal appelle les grandeurs. Il faut comprendre sous cette dĂ©nomination, ce que les hommes reconnaissent comme une valeur, une supĂ©rioritĂ© ou une dignitĂ©. 1° Les grandeurs conventionnelles. Ce sont toutes celles que les hommes sont convenus, par des accords tacites ou explicites, dâinstituer comme telles. Une convention est en effet ce qui dĂ©coule de la dĂ©cision humaine. Toute institution, tout Ă©tablissement humain, met en jeu des conventions. Or, lâobservation des faits le montre, les conventions ont la relativitĂ© des apprĂ©ciations humaines. Ce que prĂ©cise le texte au moyen dâexemples. En France, au 17° siĂšcle on confĂšre une supĂ©rioritĂ© aux nobles, câest-Ă -dire aux descendants des conquĂ©rants germains, en Suisse Ă la mĂȘme Ă©poque on honore les roturiers. Ici on donne un privilĂšge Ă lâaĂźnĂ©, lĂ au cadet. Pascal souligne le caractĂšre arbitraire et contingent des hiĂ©rarchies sociales. Câest ainsi » mais cela pourrait ĂȘtre autrement. La distinction entre ce quâune sociĂ©tĂ© honore et ce quâelle mĂ©prise nâa pas de fondement naturel. La chose Ă©tait indiffĂ©rente avant lâĂ©tablissement ». Câest la volontĂ© des hommes qui dĂ©cide ici, dâinstituer le droit dâaĂźnesse, ailleurs le droit du cadet. En nature, il nây a pas plus de raison dâaffirmer le privilĂšge de lâun que celui de lâautre. Ce sont lĂ des conventions propres Ă chaque peuple. Pour quâil nây ait aucune ambiguĂŻtĂ© sur ce point, Pascal se fait explicite. Quâest-ce qui est au principe de ces conventions ? La rĂ©ponse Parce quâil a plu aux hommes » rĂ©vĂšle quâelles nâont pas dâautre justification que le bon plaisir des peuples. Avec la notion de plaisir le philosophe enracine les institutions dans la sphĂšre des dĂ©sirs ou dans son langage, des concupiscences et dans la toute puissance de lâimagination. On ne peut pointer davantage lâarbitraire et la relativitĂ© des Ă©tablissements humains et donc des lois, et donc de la justice. Avant la convention qui dĂ©cide de ces dĂ©terminations il nây a ni juste, ni injuste. Mais dĂšs que la convention a force de loi, le juste sâidentifie au respect de la lĂ©galitĂ©, lâinjuste Ă lâillĂ©galitĂ©. Le texte donne une premiĂšre explication de cette nĂ©cessitĂ© politique en faisant rĂ©fĂ©rence au trouble public Cf. troubler. On comprend que lâenjeu des conventions est dâassurer lâordre public et seuls des accords communĂ©ment consentis peuvent cohĂ©rer des sociĂ©tĂ©s humaines. Lâimportant nâest pas la rationalitĂ© de lâaccord, câest sa capacitĂ© Ă promouvoir lâordre social. De ce point de vue, il faut appeler injuste ce qui menace la stabilitĂ© des institutions, ce qui est facteur de dĂ©sordre câest-Ă -dire de violence. 2° Les grandeurs naturelles. Naturelles se comprend par opposition Ă conventionnelles. En droit, ce qui est fondĂ© en nature est ce qui est fondĂ© en raison. Ce qui est par nature est indĂ©pendant de la relativitĂ© et de lâarbitraire humains. Seule une raison affranchie du prĂ©jugĂ© peut en saisir la nĂ©cessitĂ© propre et lâuniversalitĂ©. Par exemple, la vertu de sagesse est une valeur dans lâabsolu, non relativement Ă la fantaisie des peuples. Elle est ce quâelle est par dĂ©termination objective non par apprĂ©ciation fantaisiste. Le texte parle de qualitĂ©s rĂ©elles et effectives ». RĂ©el sâoppose Ă fictif. Le fictif nâexiste que dans lâimagination des hommes et nâa pas dâeffectivitĂ©. On entend par effectivitĂ© » la capacitĂ© de produire des effets, de sâattester concrĂštement. La force peut soulever des haltĂšres, la faiblesse ne le peut pas. Le courage peut triompher du danger, la lĂąchetĂ© en est bien incapable. Les supĂ©rioritĂ©s naturelles sont en soi des supĂ©rioritĂ©s et devraient donc ĂȘtre reconnues par tout esprit normalement constituĂ©. 3° Les deux genres de respect relatifs aux deux genres de grandeurs. Ces deux sortes de grandeurs fondent des devoirs diffĂ©rents. Un devoir ou une obligation câest ce Ă quoi on est tenu en vertu dâune loi. Quâil sâagisse des grandeurs conventionnelles ou des grandeurs naturelles, on est tenu au respect car toute dignitĂ© oblige. Mais ce respect nâest pas de mĂȘme nature dans les deux cas. Aux grandeurs dâĂ©tablissement respect dâĂ©tablissement dit Pascal. Que faut-il entendre par lĂ ? Que tout ordre social implique des rĂšgles de civilitĂ© relatives aux hiĂ©rarchies instituĂ©es. Lâusage veut quâon parle aux rois Ă genoux, quâon se tienne debout dans la chambre des princes. On peut transposer ces exemples dans les usages de notre Ă©poque. La politesse et le respect dus Ă la fonction veulent quâau tribunal on se lĂšve lorsque les magistrats pĂ©nĂštrent dans le prĂ©toire, quâon ne parle pas Ă un ministre, un prĂ©fet ou Ă un professeur comme Ă un copain ou Ă un chien. Ce sont lĂ des cĂ©rĂ©monies extĂ©rieures » entendons, une maniĂšre de se conduire oĂč lâessentiel consiste dans la conformitĂ© extĂ©rieure de lâattitude Ă la rĂšgle sociale. Les marques conventionnelles de respect on tĂ©moigne dâune certaine rĂ©serve, on sâincline, on sâincommode » dit Pascal nâimpliquent pas le consentement intĂ©rieur de lâĂąme qui est au contraire le propre du respect Ă©prouvĂ© Ă lâendroit des grandeurs naturelles. Celles-ci forcent lâestime, lâadmiration. Elles suscitent des sentiments or les sentiments ne se commandent pas par dĂ©cret. Ils ont une spontanĂ©itĂ© tĂ©moignant quâen prĂ©sence de certaines valeurs, la sensibilitĂ© rĂ©agit dâune certaine maniĂšre. Ce qui est identifiĂ© comme une supĂ©rioritĂ© naturelle suscite une espĂšce de retenue, de dĂ©fĂ©rence. On se sent enclin Ă tĂ©moigner des Ă©gards Ă la vertu, Ă lâintelligence, Ă leur rendre hommage, fĂ»t-ce dans le silence et le secret de lâintĂ©rioritĂ©. Il nây a que les grandeurs naturelles qui soient ainsi capables de sâimposer Ă la raison et Ă la sensibilitĂ© et de les disposer intĂ©rieurement Ă la reconnaissance de leur valeur. Nous ne devons les respects naturels quâaux grandeurs naturelles » Ă©crit Pascal. La perspective est ici morale. Pascal ne dit pas que les hommes Ă©prouvent naturellement du respect pour les grandeurs naturelles. Ce serait mĂ©connaĂźtre la subversion de la raison par lâimagination, la toute puissance du prĂ©jugĂ© ou tout simplement la petitesse de certains esprits, que cela soit dĂ» Ă lâabsence dâĂ©ducation ou Ă autre chose. LâexpĂ©rience montre en effet quâun Hitler ou un Staline ont suscitĂ© lâestime alors quâun JĂ©sus a dĂ» essuyer les quolibets de la foule. Un caĂŻd est admirĂ© dans certains espaces alors quâun honnĂȘte jeune homme peut ĂȘtre moquĂ©. Un professeur fort savant peut ĂȘtre chahutĂ© par des Ă©lĂšves nâayant pas lâintelligence nĂ©cessaire Ă la comprĂ©hension de leur propre infĂ©rioritĂ© Ă lâendroit de la supĂ©rioritĂ© qui est en face dâeux. Rien nâest plus difficile que de savoir identifier les vraies valeurs. On se souvient que Descartes en fait le privilĂšge des Ăąmes bien nĂ©es. Pascal nâignore pas le problĂšme. En se rĂ©fĂ©rant Ă un ordre naturel de valeurs, il veut simplement conduire le prince auquel il sâadresse Ă ne pas confondre les hiĂ©rarchies sociales avec les hiĂ©rarchies naturelles. Il lui rappelle que dans son for intĂ©rieur tout homme, fĂ»t-il le plus misĂ©rable socialement, est une citadelle inexpugnable. Nul ne peut ĂȘtre contraint Ă juger estimable ce qui ne lâest pas. La libertĂ© intellectuelle et morale est inaliĂ©nable. Il nâest pas nĂ©cessaire parce que vous ĂȘtes duc, que je vous estime ; mais il est nĂ©cessaire que je vous salue. Si vous ĂȘtes duc et honnĂȘte homme, je rendrai ce que je dois Ă lâune et Ă lâautre de ces qualitĂ©s. Je ne vous refuserai pas les cĂ©rĂ©monies que mĂ©rite votre qualitĂ© de duc, ni lâestime que mĂ©rite celle dâhonnĂȘte homme. Mais si vous Ă©tiez duc sans ĂȘtre honnĂȘte homme, je vous ferais encore justice, car en vous rendant les devoirs que lâordre des hommes a attachĂ©s Ă votre naissance, je ne manquerai pas dâavoir pour vous le mĂ©pris intĂ©rieur que mĂ©riterait la bassesse de votre esprit ». NB Lâexistence dâordres diffĂ©rents de grandeurs et de respects expose au risque de confusion des ordres câest-Ă -dire Ă ce que Pascal appelle la tyrannie, le ridicule ou lâinjustice. Par exemple, il est tyrannique dâexiger un respect naturel pour une grandeur conventionnelle de mĂȘme quâil est injuste de rendre un respect dâĂ©tablissement Ă ce qui est une grandeur naturelle. II Elucidation du paradoxe. 1° EnoncĂ© du paradoxe. Aux grandeurs dâĂ©tablissement, nous leur devons les respects dâĂ©tablissement câest-Ă -dire certaines cĂ©rĂ©monies extĂ©rieures qui doivent ĂȘtre accompagnĂ©es, selon la raison dâune reconnaissance intĂ©rieure de la justice de cet ordre mais qui ne nous font pas concevoir quelque qualitĂ© rĂ©elle en ceux que nous honorons de la sorte ». Etonnante affirmation pouvant paraĂźtre scandaleuse. Pourquoi ? Parce quâun ordre conventionnel, explicitement analysĂ© par lâauteur comme ordre arbitraire, ne pouvant se prĂ©valoir dâun fondement plus solide que le bon plaisir ou lâimaginaire des peuples nâa, nous semble-t-il, aucun titre du point de vue de la raison, Ă ĂȘtre reconnu juste. Quâil faille se conformer aux normes sociales, soit, quâil faille de surcroĂźt reconnaĂźtre la justice dâun systĂšme normatif arbitraire câen est trop. Juste en effet, ce qui peut ĂȘtre justifiĂ© moralement et pas seulement ce qui a Ă©tĂ© dĂ©crĂ©tĂ© tel. Nous pensons donc que seul un ordre conventionnel respectueux de la loi intĂ©rieure de lâesprit peut prĂ©tendre au consentement intĂ©rieur de la raison. En termes classiques, nous considĂ©rons que le droit positif doit se fonder sur le droit naturel pour avoir une lĂ©gitimitĂ© et seule cette lĂ©gitimitĂ© mĂ©rite dâĂȘtre cautionnĂ©e rationnellement. Il est donc paradoxal de dire Ă la fois quâun ordre est arbitraire et fantaisiste et quâil est juste selon la raison. Soit un ordre est arbitraire et on signifie quâil nâest pas justifiable en raison, soit il est justifiable rationnellement et il est contradictoire de le dĂ©crire comme arbitraire ou fantaisiste. 2° Justification du paradoxe la confusion des ordres. En droit en effet la justice est ce qui est fondĂ© en raison et il ne sâagit pas de croire que Pascal nâassentirait pas Ă ces propos. Il le dit explicitement en affirmant que seules les grandeurs naturelles peuvent inspirer un respect naturel. Il sâensuit que sâil Ă©tait possible de construire un ordre social sur des fondements naturels ou rationnels, ce ne serait pas Pascal qui sâen plaindrait. Mais voilĂ , toute lâoriginalitĂ© de notre philosophe, consiste Ă Ă©tablir que cette espĂ©rance nâest quâune vaine illusion voire une insupportable prĂ©tention. Une telle espĂ©rance revient Ă mĂ©connaĂźtre que sâil y a une justice propre Ă lâordre de lâintĂ©rioritĂ©, celle-ci est fort peu juste du point de vue de la sagesse de lâordre de la supĂ©rioritĂ©. Au fond la mĂ©connaissance de lâhĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© des ordres conduit Ă faire preuve dâinjustice au sens pascalien. Lâinjustice consiste toujours Ă exiger dâun ordre des vertus nâayant dâeffectivitĂ© que dans un autre. Par exemple, il est injuste de demander aux gens de chair de sâincliner devant la supĂ©rioritĂ© intellectuelle comme il est injuste de demander aux gens dâesprit quâils reconnaissent lâautoritĂ© de la force. Subordonner la lĂ©gitimation de lâordre politique Ă la rectitude morale relĂšve de la mĂȘme erreur. Pascal ne dit pas erreur, il dit tyrannie, injustice ou ridicule. Il y a une justice interne Ă chaque ordre quâil serait injuste de ne pas reconnaĂźtre rationnellement. La question quâil nous faut donc Ă©lucider est la suivante Quelle est la justice inhĂ©rente Ă lâordre politique qui, tout arbitraire quâil soit, doit ĂȘtre selon la raison » reconnu comme juste ? A ce niveau de lâanalyse il faut bien admettre que Pascal fait un usage problĂ©matique de lâexpression selon la raison » car son analyse du politique ne se dĂ©ploie pas sur des prĂ©supposĂ©s purement rationalistes. Au contraire, elle ne prend sens que sur fond de sa critique radicale de la raison dont le procĂšs est instruit sur des prĂ©supposĂ©s thĂ©ologiques. a Figures de la corruption de notre nature la souverainetĂ© de lâordre naturel. Le thĂšme donnant sens au propos pascalien est celui de la corruption de notre nature. Lâhomme a perdu la perfection originelle. Sa nature est une nature dĂ©chue, corrompue par le pĂ©chĂ©. Les deux ordres naturels, aussi bien celui de lâesprit que celui des corps participent de cette dĂ©chĂ©ance. Or lâordre politique, câest-Ă -dire la nĂ©cessitĂ© dâun pouvoir pour rĂ©gler lâusage de la force et lier les hommes selon des lois, dĂ©ploie son effectivitĂ© dans les deux premiers ordres. Il sâensuit quâil doit ĂȘtre assignĂ© Ă la condition postlapsaire de lâhomme et que la politique est Ă©trangĂšre Ă lâĂ©conomie de la grĂące. Sa naturalitĂ© relevant de la nature de lâhomme pĂ©cheur, il est vain de lui demander dâĂȘtre fondĂ©e sur lâexigence transcendante de justice. Seule une nature rĂ©novĂ©e par la grĂące peut avoir le sens de la vĂ©ritable justice mais il y a lĂ quelque chose de surnaturel Cf. lâordre de la charitĂ© ou de la supĂ©rioritĂ©. La justice est la vertu de la citĂ© de Dieu et au regard de la citĂ© de Dieu la citĂ© des hommes ne peut ĂȘtre quâune figure de dĂ©sordre et dâinjustice. Mais lâordre politique qui est une figure de dĂ©sordre et dâinjustice selon lâordre de la grĂące revĂȘt dans lâordre de la nature corrompue, une lĂ©gitimitĂ© correspondant Ă sa nĂ©cessitĂ©. Signe de lâĂ©tat de chute et de corruption il est justifiĂ©, quels que soient ses visages historiques, par le fait quâil maĂźtrise en partie les effets du pĂ©chĂ© lâayant rendu nĂ©cessaire. Il y a donc une double fonction de la doctrine des ordres une fonction critique et une fonction de lĂ©gitimation. Le juste interne Ă lâordre politique, ordre conventionnel, ne se mesure pas Ă lâaune dâune grandeur surnaturelle mais Ă sa vĂ©ritable fin consistant Ă satisfaire les dĂ©sirs et les intĂ©rĂȘts des hommes et dâabord cet intĂ©rĂȘt majeur qui est de les protĂ©ger de leur violence rĂ©ciproque. Les rois, les ministres, les assemblĂ©es sont par nature des grands de chair. Ce sont des rois de concupiscence. Ils ont Ă remplir les fonctions de cet ordre, la premiĂšre Ă©tant de nous sauver du pire des maux Ă savoir de la guerre de tous contre tous. Nous devons leur rendre cette justice. Les choses du monde les plus dĂ©raisonnables deviennent les plus raisonnables Ă cause du dĂ©rĂšglement des hommes. Quây a-t-il de moins raisonnable que de choisir, pour gouverner un Etat, le premier fils dâune reine ? On ne choisit pas pour gouverner un vaisseau celui des voyageurs qui est de la meilleure maison. Cette loi serait ridicule et injuste ; mais parce quâils le sont et le seront toujours, elle devient raisonnable et juste, car qui choisira-t-on, le plus vertueux et le plus habile ? Nous voilĂ incontinent aux mains, chacun prĂ©tend ĂȘtre ce plus vertueux et ce plus habile. Attachons donc cette qualitĂ© Ă quelque chose dâincontestable. Câest le fils aĂźnĂ© du roi ; cela est net, il nây a point de dispute. La raison ne peut faire mieux, car la guerre civile est le plus grand des maux » On peut lire aussi la pensĂ©e B325. Ce propos donne la mesure du tragique pascalien. Il donne sa substance au thĂšme de la corruption de notre nature, thĂšme constituant, rappelons le, le site dâoĂč parle Pascal. Il faut reconnaĂźtre une justice des conventions sociales mĂȘme sâil convient de la faire avec ce que Pascal appelle la pensĂ©e de derriĂšre » câest-Ă -dire avec ce recul permettant de ne pas confondre les ordres et donc de ne pas concevoir quelque qualitĂ© rĂ©elle en ceux que nous honorons de cette sorte ». b Lâimpuissance de la raison humaine Ă dĂ©terminer adĂ©quatement les valeurs. Câest que la raison humaine est impuissante Ă dire le vrai, le bien ou le juste. De sa perfection premiĂšre, lâhomme a gardĂ© la trace en creux de lâidĂ©e de justice, ce qui le conduit Ă dĂ©noncer lâinjustice mais cette trace est une place vide. Encore quâon ne puisse assigner le juste, on voit bien ce qui ne lâest pas » dit Pascal. DâoĂč les disputes incessantes entre les hommes et la nĂ©cessitĂ© de se mettre dâaccord pour garantir la paix. Ici on dĂ©cidera que celui qui mettra tout le monde dâaccord est le fils aĂźnĂ© du roi, lĂ que câest lâavis dâune majoritĂ©. La justice de lâaccord nâest pas sa conformitĂ© Ă la vraie justice, câest la paix quâil assure. Que cet accord se rĂ©alise sur le principe dĂ©mocratique de la majoritĂ© ou sur le principe monarchique de la souverainetĂ© de droit divin peu importe. Dans tous les cas les hommes sâentendent sur des principes conventionnels qui sont des principes corrompus. Il nây a pas de salut dans la sphĂšre du politique. Mais celle-ci est incontournable pour contenir les effets de notre dĂ©raison. VoilĂ pourquoi Pascal conseille au prince de laisser croire au peuple que les rĂšgles assurant lâordre public sont justes. Cette illusion est vectrice dâobĂ©issance et lâobĂ©issance est absolument nĂ©cessaire. DĂ©voiler lâillusion serait sans gain pour la vraie justice et calamiteux pour la paix civile. Ce ne serait pas charitĂ©, ce serait haine. Il est dangereux de dire au peuple que les lois ne sont pas justes, car il nây obĂ©it quâĂ cause quâil les croit justes. Câest pourquoi il faut lui dire en mĂȘme temps quâil y faut obĂ©ir parce quâelles sont lois, comme il faut obĂ©ir aux supĂ©rieurs, non pas parce quâils sont justes mais parce quâils sont supĂ©rieurs. Par lĂ , voilĂ toute sĂ©dition prĂ©venue si on peut faire entendre cela, et ce que câest prĂ©cisĂ©ment que la dĂ©finition de la justice » PensĂ©e. c La subversion de la raison par lâimagination. Ce thĂšme de lâimpuissance de la raison humaine Ă dĂ©terminer positivement le juste sâarticule Ă celui de la subversion de la raison par lâimagination, autre figure de la corruption de notre nature. Bien avant la cĂ©lĂšbre analyse de Rousseau dans le Contrat Social Pascal montre que la justice Ă©tant sujette Ă dispute, on nâa pu faire que la justice soit forte. Mais comme un ordre est absolument nĂ©cessaire, on a fait en sorte que la force soit juste ». Cette supercherie est lâĆuvre de lâimagination. Les cordes qui attachent le respect des uns envers les autres en gĂ©nĂ©ral sont cordes de nĂ©cessitĂ©, car il faut quâil y ait diffĂ©rents degrĂ©s, tous les hommes voulant dominer, et tous ne le pouvant pas, mais quelque uns le pouvant. Figurons nous donc quâils se battront jusquâĂ ce que la plus forte partie opprime la plus faible, et quâenfin il y ait un parti dominant. Mais quand cela est une fois dĂ©terminĂ©, alors les maĂźtres, qui ne veulent pas que la guerre continue, ordonnent que la force qui est entre leurs mains leur succĂ©dera comme il leur plaĂźt les uns la remettront Ă lâĂ©lection des peuples, les autres Ă la succession de naissance etc. Et câest lĂ oĂč lâimagination commence Ă jouer son rĂŽle. Jusque lĂ la pure force lâa fait ici câest la force qui se tient par lâimagination en un certain parti, en France des gentilshommes, en Suisse des roturiers, etc. Or ces cordes qui attachent donc les respects Ă tel ou tel en particulier sont des cordes dâimagination » PensĂ©e. B. 304. Cette capacitĂ© de lâimagination Ă subvertir la raison et Ă imposer la force en la parant du prestige du droit, pointe lâĂ©tendue de la corruption de notre nature. Car lâimagination est lâactivitĂ© de lâesprit au service des diverses concupiscences oeuvrant dans la nature humaine. Il sâensuit quâelle ressortit de lâordre de la chair. Sa fonction est de satisfaire les appĂ©tits de pouvoir, de richesse, de gloire, de vanitĂ©, appĂ©tits ambigus car sâil nây a pas lieu dâen ĂȘtre fier, ils sont nĂ©anmoins le ressort du dynamisme de la vie. Les enfants de Port Royal auxquels on ne donne point cet aiguillon dâenvie et de gloire tombent dans la nonchalance » reconnaĂźt la pensĂ©e Mais enfin ce sont bien ces appĂ©tits qui nous expulsent de la surnature. Ils conduisent chacun Ă se penser comme centre et lĂ est le principe du pĂ©chĂ©. Quel dĂ©rĂšglement de jugement, par lequel il nây a personne qui ne se mette au dessus de tout le reste du monde, et qui nâaime mieux son propre bien et la durĂ©e de son bonheur et de sa vie, que celle de tout le reste du monde » Par cette propension Ă se faire le centre de tout, les hommes ne peuvent donc prĂ©tendre vivre dans la justice. Il faudrait pour cela, ce qui est proprement impossible se dĂ©pouiller de toute volontĂ© particuliĂšre, nâaspirer Ă aucun bien qui ne puisse ĂȘtre partagĂ© par tous. Il faudrait prĂ©fĂ©rer au bien individuel le bien de lâensemble, ce qui en toute rigueur est une subversion de lâordre naturel des choses. Seule la grĂące peut rendre possible la capacitĂ© de lâinfĂ©rieur Ă sâĂ©lever au supĂ©rieur. Autant dire que ce salut sâeffectue hors du politique. Câest le miracle de la foi condamnant en ce monde Ă la tragĂ©die de la Croix. Conclusion RĂȘver dâun ordre qui serait humainement faisable et qui ne serait point un dĂ©sordre, câest tout mĂ©langer, câest prendre les hommes pour des dieux ou pour des anges ; câest lâerreur des philosophes. Il faut donc savoir que lâordre nâest quâapparent et que câest un vĂ©ritable dĂ©sordre, mais il faut faire comme si ce dĂ©sordre Ă©tait un ordre vĂ©ritable ; la plupart des hommes ne sont pas capables de cette doctrine et il faut leur prĂ©senter le dĂ©sordre rĂ©el comme un ordre rĂ©el. Car ils ne peuvent y obĂ©ir et sây soumettre que sâils croient que câest un ordre rĂ©el et que les principes en sont justes. Pascal est donc dâune certaine maniĂšre lâexact envers de Rousseau. Tous deux voient dans lâordre social tel quâil existe rĂ©ellement une apparence qui cache un vĂ©ritable dĂ©sordre ; tous deux voient dans la prĂ©tendue union civile une forme souveraine dâopposition et de dĂ©sunion ; tous deux voient dans la paix Ă laquelle tous aspirent une forme de guerre de tous contre tous. Mais lĂ oĂč Rousseau imagine que lâhomme pourrait guĂ©rir de son pĂ©chĂ© et sâordonner en fonction du tout, passant ainsi dâun ordre apparent Ă un ordre rĂ©el, Pascal sait que, parce que lâhomme est pĂ©cheur, il nây a pas dâordre plus rĂ©el que lâordre apparent, pas dâunion plus Ă©troite que celle qui nous lie en nous opposant, pas de paix plus vraie que celle qui a la forme dâune guerre secrĂšte » Jean-Fabien Spitz, Apparence et faussetĂ© la double nature de lâordre politique chez Pascal, Revue internationale de philosophie, n° 199, mars 1997. Questions portant sur le troisiĂšme discours 1 Quel est le sens de la distinction entre le royaume de la charitĂ© et le royaume de la concupiscence ? 2 Quelle est la mission dâun roi de concupiscence ? 3 Y a-t-il un salut possible de lâhumanitĂ© dans lâordre politique ? Correction 1 Cette distinction renvoie Ă la distinction que St Augustin a Ă©tablie entre la citĂ© de Dieu, citĂ© cĂ©leste et la citĂ© des hommes, citĂ© terrestre Deux amours ont donc bĂąti deux citĂ©s celle de la terre par lâamour de soi jusquâau mĂ©pris de Dieu, celle du ciel par lâamour de Dieu jusquâau mĂ©pris de soi. Lâune se glorifie en elle-mĂȘme, lâautre dans le Seigneur. Lâune en effet demande sa gloire aux hommes; lâautre tire sa plus grande gloire de Dieu, tĂ©moin de sa conscience. Lâune, dans sa gloire, redresse la tĂȘte; lâautre dit Ă son Dieu Tu es ma gloire et tu Ă©lĂšves ma tĂȘte.» Lâune, dans ses chefs ou dans les nations quâelle subjugue, est dominĂ©e par le dĂ©sir de dominer; dans lâautre, on se rend service mutuellement dans la charitĂ©, les gouvernants en prenant les rĂ©solutions, les sujets en obĂ©issant. Lâune, dans ses puissants, chĂ©rit sa propre force; lâautre dit Ă son Dieu Je tâaimerai, Seigneur, toi ma force » Câest pourquoi, dans lâune, les sages vivant selon lâhomme ont recherchĂ© les biens du corps ou de lâĂąme ou des deux; et ceux qui ont pu connaĂźtre Dieu ne lâont pas honorĂ© comme Dieu et ne lui ont pas rendu grĂąces, mais ils se sont fourvoyĂ©s dans leurs pensĂ©es et leur coeur insensĂ© a Ă©tĂ© obscurci; se proclamant sages [ câest-Ă -dire sâexaltant dans leur sagesse sous la domination de leur orgueil] il sont devenus fous; ils ont troquĂ© la gloire du Dieu incorruptible contre des images de lâhomme corruptible, [âŠ] Dans lâautre citĂ© au contraire, la seule sagesse de lâhomme est la piĂ©tĂ© qui rend un culte lĂ©gitime au vrai Dieu et attend pour rĂ©compense dans la sociĂ©tĂ© des saints, hommes aussi bien quâanges, que Dieu soit tout en tous. » St Augustin, La CitĂ© de Dieu, Livre XIV, 28. La citĂ© terrestre est Ă lâimage de la nature humaine. Celle-ci est une nature dĂ©chue. Elle nâest pas encline Ă se soumettre Ă la loi transcendante dâamour et de justice car elle est sous lâempire des diverses concupiscences oeuvrant en elle. Le principe du mal est lâamour de soi en lieu et place de lâamour de Dieu. Telle est la corruption constitutive de notre ĂȘtre. Lâhomme est un nĂ©ant se prenant pour un dieu, une infime partie dâun ensemble, sans lequel il ne serait rien, se prenant pour le tout. Quel dĂ©rĂšglement de jugement, par lequel il nây a personne qui ne se mette au-dessus du reste du monde, et qui nâaime mieux son propre bien, et la durĂ©e de son bonheur, et de sa vie, que celle de tout le reste du monde » PensĂ©es, B 456. Le conatus dâauto-affirmation comme lâappellent Hobbes et Spinoza, lâamour de soi ou lâamour-propre sont la respiration de tout existant et câest cela le principe du dĂ©sordre terrestre. Sâils Ă©taient capables de dĂ©poser les requĂȘtes de leur cher moi », les hommes pourraient ĂȘtre unis dans une communautĂ© dâamour et de justice mais ils ne seraient plus des hommes. Ils seraient des saints or la saintetĂ© ne procĂšde pas de la force humaine, elle est la force de Dieu dans celui qu'il a Ă©lu thĂšme de la grĂące divine. Câest dire quâextĂ©rieure Ă la communion des saints, la citĂ© des hommes est construite sur les diverses concupiscences que chacun peut dĂ©couvrir en soi, sâil veut bien sâefforcer dâĂȘtre lucide. Concupiscence des richesses. Concupiscence du pouvoir. Concupiscence des honneurs. La richesse, la domination, la gloire sont les valeurs de lâordre de lâextĂ©rioritĂ© ou de la chair auxquelles il faut ajouter les valeurs de lâordre de lâintĂ©rioritĂ© ou de lâesprit, relevant elles aussi dâune concupiscence que Pascal, Ă la suite de St Augustin, dĂ©finit comme orgueil et curiositĂ©. Celle-ci est au principe de la sagesse des philosophes mais cette sagesse est fort peu sage au regard de la sagesse quâest venu enseigner le Christ. En vĂ©ritĂ©, en vĂ©ritĂ© je vous le dis, personne ne peut entrer dans le royaume de Dieu sâil ne renaĂźt pas de lâeau et de lâEsprit saint. Ce qui est nĂ© de la chair, est chair ; et ce qui est nĂ© de lâEsprit est esprit. Ne vous Ă©tonnez pas de ce que je vous ai dit, quâil faut que vous naissiez encore une fois » Evangile de Jean 3. Il sâensuit que tout oppose le royaume de la charitĂ© et le royaume de la concupiscence. Lâun unit les hommes dans lâamour de bienveillance. Chaque moi cessant de se faire le centre de tout nâexiste que par et pour le tout. Le miracle de la communion des saints est celui dâun monde oĂč le moi ne se contenterait pas de limiter ses prĂ©tentions pour laisser une place aux prĂ©tentions des autres mois, mais se dĂ©poserait purement et simplement. Oubli de soi, dĂ©vouement aux autres, sacrifice de sa personne pour l'amour de Dieu. St augustin le dit magnifiquement dans le jeu dâoppositions quâil construit. Si la citĂ© de Dieu est bĂątie sur lâamour de Dieu jusquâau mĂ©pris de soi, lâautre lâest sur lâamour de soi jusquâau mĂ©pris de Dieu. Si lâune tire sa gloire de sa force et de sa domination dans le concert des nations, lâautre tire sa gloire de son absorption dans la perfection divine. Lâune est cohĂ©rĂ©e comme communautĂ© dâintĂ©rĂȘts, lâautre comme communautĂ© de foi. 2 Si lâordre politique procĂšde des inclinations de la nature humaine, on comprend que les autoritĂ©s instituĂ©es nâont de lĂ©gitimitĂ© quâautant quâelles assurent la satisfaction des intĂ©rĂȘts des membres du corps politique. Ces intĂ©rĂȘts sont la sĂ©curitĂ©, la prospĂ©ritĂ©, la reconnaissance comme satisfaction narcissique. La justice est le nom que les hommes donnent au systĂšme qui les comble sur tous ces points. Ainsi la monarchie, dont Montesquieu a montrĂ© quâelle reposait sur le principe de lâhonneur » a durĂ© aussi longtemps quâelle a Ă©tĂ© capable de satisfaire ces exigences. Il sâensuit que, quelle que soit la nature de lâordre Ă©tabli aristocratique ou dĂ©mocratique, les hommes sont liĂ©s par la force de leurs intĂ©rĂȘts. Pascal le rappelle au futur duc de Chevreuse en lui disant que tous les puissants socialement, ne le sont pas par lâĂ©tendue de leur territoire, mais par la possession des choses que la cupiditĂ© des hommes dĂ©sirent ». Tous sont des rois de concupiscence ». Pascal voit bien ici le ressort majeur de lâordre politique et il en tire une leçon de sagesse politique Ă lâendroit de son Ă©lĂšve. Sans rien mĂ©connaĂźtre de son Ă©galitĂ© morale avec ceux qui seront sous son autoritĂ©, celui-ci devra veiller Ă combler au mieux les besoins et les dĂ©sirs de ceux qui lui seront attachĂ©s par la puissance de ces mĂȘmes besoins et dĂ©sirs. [âŠ] en connaissant votre condition naturelle, usez des moyens quâelle vous donne; et ne prĂ©tendez pas rĂ©gner par une autre voie que par celle qui vous fait roi. Ce nâest point votre force et votre puissance naturelle qui vous assujettit toutes ces personnes. Ne prĂ©tendez donc point les dominer par la force, ni les traiter avec duretĂ©. Contentez leurs justes dĂ©sirs, soulagez leurs nĂ©cessitĂ©s, mettez votre plaisir Ă ĂȘtre bienfaisant, avancez-les autant que vous le pourrez, et vous agirez en vrai roi de concupiscence. » Pascal invite le Grand Ă ĂȘtre un serviteur de ceux quâil gouverne, Ă faire preuve dâhumilitĂ©, de gĂ©nĂ©rositĂ© et de diligence dans ses fonctions. Accomplir sa tĂąche du mieux quâil peut en Ă©vitant la brutalitĂ©, la violence, la mesquinerie. Cela Ă©tant, il fera peut-ĂȘtre le salut terrestre du peuple et le sien, il nâen sera pas pour autant moins damnĂ©. Car le salut = sauver son Ăąme, pour la sagesse christique, nâest pas dans les biens de la chair et dans ceux de lâesprit. Il est dans le mĂ©pris de la concupiscence. Certes il vaut mieux se damner en honnĂȘte homme » quâen misĂ©rable, mais enfin le mieux serait de travailler Ă son salut vĂ©ritable et cela passe par une conversion radicale. Mon royaume nâest pas de ce monde » disait le Christ. La sagesse en ce monde est un moindre mal, elle nâest pas le bien car Il faut mĂ©priser la concupiscence et son royaume, et aspirer Ă ce royaume de charitĂ© oĂč tous les sujets ne respirent que la charitĂ© et ne dĂ©sirent que les biens de la charitĂ©. Dâautres que moi vous en diront le chemin; il me suffit de vous avoir dĂ©tournĂ© de ces vies brutales oĂč je vois que plusieurs personnes de votre condition se laissent emporter faute de bien connaĂźtre lâĂ©tat vĂ©ritable de cette condition. » Pascal reste Ă©vasif sur le chemin du salut vĂ©ritable. Le philosophe doit sâeffacer ici et laisser la place au miracle de la foi. Car une conversion suppose toujours une expĂ©rience dĂ©cisive par laquelle sâopĂšre la transformation radicale dâun ĂȘtre. 3 Lâanalyse prĂ©cĂ©dente Ă©tablit donc quâil nây a pas de salut de lâhumanitĂ© par la politique. Il nây a de salut que par le don divin de la grĂące. La solution aux maux de lâhumanitĂ© nâest pas politique, elle est religieuse mais elle ne dĂ©pend pas de l'homme. Son salut n'est pas entre ses mains, il est dans celles de Dieu qui sauve ou qui damne. Il s'ensuit que la citĂ© de Dieu est une espĂ©rance pour lâau-delĂ , non pour lâici-bas. Partager Marqueursamour de dieu, amour de soi, angoisse, concupiscence, condition humaine, divertissement, droit naturel, droit positif, grĂące, grandeurs conventionnelles, grandeurs naturelles, hasard, imagination, justice, misĂšre existentielle, ordre de l'extĂ©rioritĂ©, ordre de l'intĂ©rioritĂ©, ordre de la supĂ©rioritĂ©, respect d'Ă©tablissement, respect naturel, salutQuest-ce que le moi? Puis-je atteindre ce "moi" que je dĂ©clare aimer quand je prĂ©tends aimer quelqu'un "pour lui-mĂȘme" ou bien suis condamnĂ© Ă ne connaĂźtre et n'aimer que des "qualitĂ©s", par dĂ©finition Ă©phĂ©mĂšres? Qu'aime-t-on vraiment de l'autre? Le connaĂźt-on vraiment? Le moi est-il connaissable? Une (autre) explication du texte de Pascal (cf. cours
Ilsâest adressĂ© Ă ses fans pour leur expliquer pour expliquer qu'il est atteint dâune douloureuse paralysie du visage. Pascal Groulx est en fait atteint de la paralysie de Bell, une paralysie faciale qui apparaĂźt soudainement et qui frappe habituellement en partie ou totalement un cĂŽtĂ© du visage. Il faut dire que plusieurs abonnĂ©s
PASCALâ QUâEST-CE QUE LE MOI ? PENSEE : 323/688 EDITE PAR SEUIL DANS LA COLLECTION « LâINTEGRALE » EN 1963 . Cette pensĂ©e de Pascal pourrait rĂ©pondre Ă la question de savoir si lâinterrogation « qui suis-je? » pourrait admettre une rĂ©ponse exacte. DâemblĂ©e en effet et comme in media res lâauteur pose le sujet de sa pensĂ©e sous la forme dâune question «Quâest-ce que le moi ? Un homme qui se met Ă la fenĂȘtre pour voir les passants ; si je passe par lĂ , puis-je dire qu'il s'est mis lĂ pour me voir ? Non ; car il ne pense pas Ă moi en particulier ; mais celui qui aime quelqu'un Ă cause de sa beautĂ©, l'aime-t-il ? Non : car la petite vĂ©role, qui tuera la beautĂ© sans tuer la personne
ParLéopold Tobisch. Publié le mercredi 24 août 2022 à 12h11. 2 min. Le théorbiste et luthiste Pascal Monteilhet est décédé ce mercredi 23 août. Pascal Monteilhet, théorbiste et luthiste et grande figure de la scÚne baroque française des années 1980 et 1990, nous a quittés hier soir. Il avait 67 ans.